santino a écrit:Après deux lectures du bouquin je reste dubitatif sur la valeur démonstrative du dit modèle : en quoi peut-on tirer des enseignements solides d'une simulation dans laquelle on modifie les facteurs au préalable pour qu'ils collent au résultat escompté ? Un parti pris n'a jamais été une preuve à mon sens...
C'est assez simple à comprendre, mais un peu long à exposer. Les modifications préalables constituent en fait les hypothèses de travail: c'est pour parvenir à ces facteurs que le modèle a été construit.
Le gros problème avec les sources anciennes c'est qu'elles donnent des situations et des chiffres qui laissent souvent les modernes dubitatifs. La relecture critique décapante d'un Delbrück en témoigne. Le modèle se propose de tester ce qui semble plausible. On nous dit qu'à Marathon les Perses étaient plus nombreux que les Athéniens: les chiffres fameux donnés par Hérodote ou Justin sont même épouvantables à ce sujet et rendent incompréhensible la victoire athénienne. Delbrück conteste donc la thèse d'une supériorité écrasante des Perses estimant qu'ils étaient peut-être même moins nombreux que les Grecs, rendant la victoire de ces derniers plus logique. Mais aujourd'hui on tend à estimer les Perses entre 20 et 30 000. Ce qui pose toutefois le problème du résultat: comment les Athéniens ont-ils pu vaincre une force si clairement supérieure ?
L'idée de Sabin est donc, au travers du modèle, de rechercher un "équilibre" qui rende plausible les effectifs estimés.
La base de sa modélisation, et en même temps la partie la plus fragile, celle sur laquelle on peut à juste titre faire porter la critique, c'est que le résultat historique est en même temps le plus "logique".
C'est-à-dire que le camp qui a gagné la bataille est en définitive celui qui avait une supériorité, que ce soit dans le nombre, dans la qualité de ses troupes, dans sa situation (surprise, terrain...), dans son commandement ou dans une quelconque combinaison de ces facteurs. C'est-à-dire que Sabin écarte la victoire "miraculeuse", "inespérée". Or une victoire de se genre a fort bien pu se produire: mais comment le prouver ? La plupart des récits anciens, partisans, tendent à donner à une grande victoire cet aspect "miraculeux" qui rehausse d'autant le prestige du vainqueur.
D'un autre autre côté, en raisonnant de façon "scientifique" on peut estimer qu'il est plus que probable que la très grande majorité des victoires antiques découlent bien de la supériorité initiale d'un camp, quelque fut la nature de cette supériorité. Donc même si Marathon fut un "miracle", il serait bien imprudent de pensée que Marathon et Platée et Délion et Leuctres toutes à la fois l'aient été.
Sur cette base, rationnelle, Sabin bâtit son modèle. L'idée c'est que la combinaison des facteurs doit permettre de "construire" des listes d'armées donnant une probabilité plus forte d'obtenir le résultat historique tout en rendant plausible à l'occasion des écarts d'effectifs à priori contraires.
Pour reprendre l'exemple de Marathon, Sabin retient environ 19 000 hommes pour les Perses, un effectif double de celui des Athéniens. Partant du principe que les Athéniens étaient malgré tout supérieurs (pour la raison avancée plus haut) il fixe la qualité de ces troupes, sur des bases longuement expliquées dans ses notes préalables (pourquoi tel effectif pour une unité Levée, pourquoi telle efficacité au combat...). Il obtient donc deux listes d'armées reflétant le résultat historique. On peut ne pas être d'accord et estimer par exemple que les hoplites ioniens valaient ceux des Athéniens. En ce cas, libre au "joueur" de faire passer les Ioniens de LHO à AHO. Mais alors l'équilibre global de la bataille est rompu et la victoire athénienne devient nettement moins probable. Même remarque concernant la cavalerie perse: on peut estimer que les Perses en avaient plus, mais alors il faut tester ce que cela donne avec le modèle et mesurer dans quelle mesure cela rompt l'équilibre.
Contrairement à ce que tu affirmes, Sabin ne biaise pas le système au sens où un wargamer le ferait pour établir un équilibre artificiel entre les camps (par exemple pour permettre aux Sudistes d'avoir autant de chance de gagner la guerre de Sécession que les Nordistes). Il explique pourquoi, d'après lui, tel peut être le rapport de forces après déduction, mais il encourage le lecteur à tester d'autres hypothèses tout en en mesurant les conséquences. C'est un modèle dynamique, permettant de vérifier très vite l'impact de telle ou telle variation: c'est par la répétition des simulations que l'on peut ainsi parvenir à des conclusions.
Toutefois, tout est une affaire d'estimation. Sabin donne aux vétérans un facteur d'efficacité de 9 à 1 par rapport aux Levées. Il se justifie là-dessus, mais on peut ne pas être d'accord. Ce n'est qu'un modèle, on peut en concevoir d'autres, comme dans toute discipline.
La remarque de Santino corrobore semble-t-il mes doutes non sur l'intérête et la valeur du système, mais sur son "autoproclamation" comme étant un système dit scientifique...
Le danger, c'est de lui demander ce qu'il ne fournit pas. La démarche de Sabin est parfaitement valable dans le cadre d'une recherche, Goldsworthy l'a lui-même bien souligné. Mais ce n'est qu'un jalon pour la réflexion: vous n'y trouverez pas de vérité subitement révélée. Et ceci est aussi une démarche rationnelle de recherche ("scientifique") similaire à celle de l'archéologue ou de l'économiste.