Ayant été séduit par le style de l’auteur (après la lecture très rafraichissante de son « Waterloo ») je me suis procuré ce petit livre (291 pages), traitant de la plus grande défaite de Rome depuis Cannes.
La défaite de Cannes a servi d’électrochoc à l’armée romaine, qui a su tirer profit de son échec et relever le moral de ses combattants, ce phénomène ayant permis à Rome de développer l’instrument décisif de la victoire finale de Scipion face à Hannibal.
Au contraire, Andrinople (ou Adrianople) va marquer un point de non retour, amorcé (déjà) contre les Goths à Abrittus en 251.
Cette fois, le désastre est complet et signe le début du déclin militaire de l’empire romain, celui d’Occident étant d’ores et déjà condamné à terme.
Ce livre, dont le style est à la fois vivant et léger, se lit avec un véritable plaisir.
Barbero a réussi à écrire un livre sur un passage assez méconnu de l’histoire de l’Europe en n’omettant pas à la fois les sources anciennes et plus récentes, mais en scindant habilement le livre en deux, les références étant toutes listées à la fin, pour ne pas surcharger l’ouvrage et le rendre le plus accessible possible.
Il se lit ainsi avec d’autant plus d’intérêt et de facilité, ce qui à mon sens, ne le dévalorise absolument pas.
En ce qui me concerne, il m’a permis de compléter mes connaissances sur la période et je le trouve complémentaire de l’ouvrage de Richardot (dont le style est aux antipodes de celui de Barbero) sur la fin de l’armée romaine, paru chez Economica
Le contexte du livre :
Nous sommes en Thrace : les goths, que les Romains commencent à connaître pour en avoir fédéré quelques uns, sont soumis à la pression des Huns et des Alains. Ils campent alors côté opposé du Danube et réclament aux Romains le droit d’entrer dans l’Empire à titre de protection.
Après avoir hésité, Valens, empereur d’orient se trouvant alors à Antioche, accepte de leur faire passer la frontière, non pour raison humanitaire, mais parce que l’Empire, qui s’étend d’ouest en est a régulièrement besoin de main d’œuvre, pour le travail dans les propriétés romaines mais aussi pour grossir les rangs des régiments que Valens prévoit de lancer dans sa campagne contre les perses.
A partir de là le décor est planté : l’incompétence, la corruption des élites locales, l’impréparation de la tâche envisagée (recensement des réfugiés nouvellement arrivés), vont finalement entrainer l’agacement et le ressentiment, puis la volonté des goths de se retourner contre Rome une fois le limes franchi, d’autant que la sédition a également gagné des régiments de goths fédérés qui se joignent aux mécontents et grossissent leurs rangs.
Bien que tardivement, les Romains réagissent. Quelques affrontements ont lieu, l’un est un échec flagrant, l’autre est indécis, le dernier est une victoire, certes limitée.
Mais les goths continuent à ravager les plaines de Thrace.
L’empereur Valens se décide à quitter ses quartiers et à prendre enfin la mesure du danger qui fait désormais tâche d’huile en Thrace, d’autant que des cavaliers huns et alains sont venus encore renforcer les effectifs des guerriers goths.
Et c’est la bataille d’Andrinople, qui voit la mort de l’Empereur, et qui sur le plan militaire est un désastre qui va profondément remanier l’organisation de l’armée romaine, signant la disparition définitive de la légion au profit des unités de limitanei (barbares fédérés aux frontières) et des comitatenses (corps d’armée mobiles en garnison), organisation préfigurant en grande partie le futur système féodal du Moyen Age.
A ce stade j’ouvre une petite parenthèse : je n’ai pas bien compris le sens de certaines critiques, plutôt curieuses (cf par exemple sur le blog de Bir Hakeim) sur une supposée orientation idéologique de la part de l’auteur. Il est vrai que celui-ci utilise le terme d’« immigré » pour parler des populations de goths ayant franchi la frontière. C’est un terme de notre temps, appliqué à une époque remontant à plus de 16 siècles en arrière. C’est la seule remarque que l’on puisse faire, encore qu’elle ne traduise rien de particulier sur ce que peut penser l’auteur du phénomène en lui-même.
D’autant que Barbero insiste bien sur le fait que ce n’est pas leur statut d’immigré ou de réfugié qui constitue l’origine du problème, c’est bel et bien le mépris et l’incompétence des romains qui va les pousser à se soulever.
Bref, comme souvent en histoire, on fait dire à certains auteurs ce qu’ils n’ont pas dit, ou ce que l’on croit qu’ils auraient pu dire ….
En résumé, un excellent petit livre de "sensibilisation" sur la période, qui mérite à être découvert