Qu'est ce qui pourrait bien conduire à une guerre mondiale à l'encontre même des intérêts fondamentaux des deux adversaires ?
Des interrogations peuvent apparaitre dans le "piège de Thucydide" de Graham Allison.
Thucydide fut peut être le premier historien d'un conflit "mondial", le monde civilisé allant de la Sicile à l'Asie mineure (côtes de la Turquie actuelle).La référence théorique choisie par Allison est La Guerre du Péloponnèse, ouvrage dans lequel Thucydide exposait, il y a deux mille cinq cents ans, la manière dont prit forme le conflit : « Ce fut l’ascension d’Athènes et la peur que celle-ci instilla à Sparte qui rendirent la guerre inévitable. » De ce schéma opposant un gardien du statu quo (menacé de paranoïa) et un perturbateur ambitieux (tenté par l’hubris) Allison déduit une grille d’analyse pour comprendre l’avenir des relations entre Chine et États-Unis.
Conflit auquel il participa en tant que général d'Athènes.
Guerre totale en dépit des intérêts fondamentaux des deux adversaires, contraire à toute rationalité.
La peur et l'hubris.
La peur de Sparte de devoir céder la première place à une autre cité état et de se faire distancer irrémédiablement.
L'Hubris d'Athènes, ivre du flux de richesses généré par sa "mondialisation" des échanges commerciaux, à son profit.
Sa marine servant de vecteur pour les transports de marchandises et de moyen de pression politique sur les multiples cités composant le monde grec.
Les vertus de la démocratie athénienne (relative car réservée aux seuls athéniens ayant la citoyenneté athénienne) cédant de plus en plus la place au désir irrépressible d'enrichissement sans limites.
Mais il y a un autre facteur pouvant expliquer un engrenage défiant la rationalité des intérêts profonds des deux grandes puissances grecques : les conflits entre leurs alliés respectifs.
C'est assez troublant de voir comment des rivalités entre des cités mineures ont entrainé les deux grandes cités dans leurs petites guerres.
Les "seconds couteaux", inconscients des enjeux "mondiaux" qui les dépassent, centrés sur leur adversaire mineur, ont mené par une laisse leurs grands protecteurs respectifs vers ce qui s'est apparenté à une sorte de suicide du monde grec.
Cette "laisse" pouvant être vue comme l'impossibilité pour les grandes cités de ne pas soutenir une cité alliée dans un conflit dans lequel elle se serait engagée malencontreusement de par ses intérêts personnels.
Enfin dernier point clef, la longueur de cette guerre, qui s'échelonna sur près de 30 ans (10 tours de trois ans dans le jeu).
Cela eut une conséquence essentielle: elle fut menée , des deux cotés, successivement, par différents grands leaders ou factions dont les visions stratégiques ont grandement différé.
A Athènes, le sage et modéré Périclès aux commandes les premières années (Tour 1: 431-429 BC) avait une vision rationnelle des forces et des faiblesses respectives, et développé une stratégie adaptée: ne pas affronter directement Sparte et ses alliés de la Ligue du Péloponnèse, mais les étouffer économiquement au cours du temps et finir par leur faire accepter par un compromis de paix l'hégémonie athénienne.
Mais sa mort causée par une épidémie de peste à Athènes, va mener au pouvoir des dirigeants qui vont se calquer sur un autre modèle:
La fermeté comme principe et l'agression à tout prix pour parvenir à la victoire totale et à une reddition sans conditions de la ligue adverse.
La guerre bascule alors dans une surenchère d'expéditions guerrières, de massacres et de violations des usages en vigueur, actions coutant au final plus cher que leurs éventuels bénéfices.
On sort alors de la rationalité stratégique, il était difficile de simuler cela avec un système classique à deux joueurs, chacun étant le maitre de sa stratégie.
Je vous renvoie, pour plus de détails à ce que Mark Herman a mis en ligne sur le site de GMT consacré à son jeu (re édition augmentée de la version VG ), il y décrit la logique originale de son système solo.
En synthèse: le joueur solo doit faire en sorte que la guerre se termine au plus vite, en basculant d'un camp vers l'autre s'il réussit bien, en gardant son camp du moment s'il se débrouille mal.
Les deux camps, Ligue du Péloponnèse menée par Sparte et la ligue de Delian menée par Athènes, sont dans une situation asymétrique:
Une force avec au moins la moitié d'Hoplites spartiates bénéficie d'un grand avantage dans un combat terrestre.
Une flotte comprenant au moins la moitié de trirèmes athéniennes, est avantagée de même dans un combat naval.
Chacune étant dominante dans une forme de combat et dominée dans l'autre, il leur était impossible de s'engager dans un affrontement direct et frontal (type seconde guerre mondiale).
La guerre ne pouvait que se faire de manière indirecte (comme s'en fit le chantre, Liddel Hart) ce qui est une aubaine pour les wargamers que nous sommes.
L'argent (ou plutôt le nombre de "talents", mesure d'argent ou d'or, d'une valeur correspondant à 1 million de dollars actuels) est le nerf de la guerre: c'est une guerre économique pour le contrôle des flux de circulations de richesses.
La politique (par les matrices de stratégies respectives, utilisées par le camp non joueur du tour) représente les décisions (souvent irrationnelles)
des leaders joués par le système.
L'économie par les ressources obtenues lors de chaque tour en fonction de la situation géopolitique sur la carte.
Les opérations militaires (troupes légères, infanterie et cavalerie symbolisées par des SP de cavalerie, SP de hoplites, fantassins lourds classiques, SP de navires) nécessitent de payer en talents pour activer des forces et d'en recruter de nouvelles.
Ces trois facteurs sont liés, les objectifs militaro politiques atteints permettent d'obtenir une meilleure position économique et d'abaisser celle de l'adversaire,
les ressources financières permettent de financer des expéditions militaires sur terre et sur mer.
C'est un wargame stratégique, où le joueur n'a qu'un contrôle ponctuel et limité sur les stratégies,
il est tour à tour lui puis son ennemi, sans pouvoir au fil du temps distinguer l'un de l'autre, comme plongé dans une tragédie grecque.