Voici la réponse à deux questions qui nous ont été posées récemment:
Question N°1: Marengo offre-t-il un gameplay intéressant d'une bataille rarement simulée ?Réponse: Le
gameplay de Marengo FES repose sur la philosophie suivante : tout sur la carte, lecture minimum des tables, utilisation minimum de marqueurs et pas d’empilements instables sur les pions régiments. Il y a juste une fiche pour les modificateurs et une pour les effets du terrain sur les mouvements, c’est tout.
Cela est obtenu par des éléments novateurs comme le
pion 3D de régiment qui permet de regrouper toutes les infos statiques (cohésion de base, effectif de départ, appartenance divisionnaire, limite du statut de « brisé » etc., tout en permettant une mise à jour profonde des effectifs de régiment sur la partie rotative du pion (jusqu’à 8 niveaux de pertes), un affichage des changements de formation (4 au total) par un pion formation qui se fixe dessus, et même chose pour les changements d’états de cohésion via des pions de couleur qui se fixent solidement sur le pion régiment. Du coup on a un pouvoir de modification des effectifs présent bien plus profond qu’avec un pion 2D classique et on évite les empilements de marqueurs instables.
Ensuite il y a les
2 dés d’artillerie pour obtenir les pertes non pas par la lecture de tables mais par un jet de dé, ce qui est plus ludique, tout en respectant le réalisme historique quant à l’efficacité des tirs de batteries. Des tirs avec ricochets et double ricochets ainsi que des explosions de caissons ont été prévus sans oublier le cas des tirs contre les bâtiments ou les tirs de batterie à batterie…
Les 4 dés pour les pertes organisés en infanterie-infanterie, cavalerie-infanterie, cavalerie-cavalerie, qui permettent d’obtenir les pertes pour chaque camp par le jet d’un dé gagnant et d’un dé perdant, sans lecture de tables.
Pour favoriser le gameplay encore,
le jeu est un tour par tour mais adapté : Dans le tour de jeu qui fait 45mn, il y a 2 séquences, une par joueur et 5 phases : commandement, mouvements, artillerie, combats rapprochés, ralliements. Le joueur qui n’est pas en phase n’est passif que pour le commandement et les ralliements. Les mouvements sont alternés entre chaque camp division par division, les tirs idem (les batteries se répondent d’un camp à l’autre), et les pour les combats chaque joueur peut attaquer dans la même phase.
Des cartes d’événements aléatoires viennent ajouter une dose de chaos de la guerre à partir d’une certaine heure et obligent les joueurs à faire preuve de réactivité.
Résultat jouer à Marengo FES se fait de façon fluide avec sous les yeux la carte, les pions, les dés, et les 2 fiches de couleur : modificateurs et mouvements. C’est tout. Pas besoin de recourir sans arrêt à la règle du moment qu’on l’a lue et comprise par quelques lectures. Une épouse d’un des deux concepteurs qui n’avait jamais touché un wargame a rapidement compris le truc…
Voilà en gros pour le gameplay.
Question N°2: Donne-t-il une impression adéquate d'une bataille napoléonienne de taille moyenne (les effectifs sont comparables à ceux de Quatre Bras 1815) ? Réponse : Concevoir un wargame qui soit respectueux de l’Histoire sur la bataille de Marengo imposait de répondre à un défi pas facile : Bonaparte a été pris complètement par surprise par l’attaque autrichienne le 14 juin 1800, ce qui ne lui arrivait pas souvent… De surcroît, il se retrouve attaqué alors qu’il a dispersé ses troupes car il manquait de renseignement. Heureusement pour lui, le général autrichien Melas ignorait ce fait et n’a pas poussé tout de suite son attaque à fond notamment par des débordements. Donc on a une infériorité numérique initiale du Français, en hommes et plus encore en artillerie. Le joueur contemporain de wargame lui, sait tout cela et il voit tout sur la carte… Du coup le défi fut de rendre une victoire du camp français possible paradoxalement !
Heureusement les Autrichiens avaient fait l’erreur (c’est historique) d’avoir deux ponts sur le rivière Bormida mais une seule sortie de leur tête de pont côté français de la rivière… Cela a provoqué un engorgement qui a nui au débouché des troupes qui ont mis 3 heures pour se déployer en totalité dans la plaine à l’ouest du village de Marengo. Le jeu en tient compte. Heureusement encore, entre les Autrichiens et les Français courait un profond ruisseau, le Fontanone, qui a permis aux généraux Victor et Lannes de tenir longtemps. Ce ruisseau profond de 2 à 3 mètres et large de 4 à 5 mètres le jeu l’utilise aussi…
Nous avons respecté les OdB d’époque le plus possible, disons à 80 % et attribué des valeurs de cohésion qui tiennent compte le plus possible du comportement historique des unités sur le terrain.
Dans le jeu le joueur français reçoit les renforts à l'heure fixée par les récits historiques, et il peut si besoin est retraiter par pallier successifs en utilisant les caractéristiques du terrain pour gagner du temps.
Pour ce qui est de
la mécanique de la bataille napoléonienne, nous avons eu à coeur de la simuler scrupuleusement car nous aimons l’histoire et faire un jeu simpliste sur Marengo ne nous intéressait pas du tout !
La lourdeur du commandement d’époque est représenté par un système d’ordres qui tient compte des délais de transmission par estafette et de réception (45mn), de la possibilité d’un retard (+45mn) et de celle d’une perte. Les généraux en chef, de corps d’armée et de division sont représentés . Le joueur doit respecter l’intégrité divisionnaire : il est hors de question qu’un régiment se balade à grande distance de son général de division, sauf ordre particulier. Les ordres sont donnés par le général en chef et testés au niveau divisionnaire et les pions QG affichent une des 4 missions en cours d’exécution (attaquer, défendre, retraiter, marcher). Ces missions répondent à des caractéristiques précises mentionnées dans la règle, l’on ne fait pas ce qu’on veut avec. Toute division qui a reçu son ordre et a passé le test de réception-exécution (qui tient compte de la valeur d’initiative des généraux émetteur et récepteur) est ipso facto activée.
Les mouvements se font à une vitesse qui est celle réelle d’époque des formations en colonne, en bataille, et qui tient compte de la nature du terrain, etc.
Les tirs d’artillerie ont une efficacité qui a été estimée en fonction des performances d’époque : portée, calibre, nombre de pièces dans la batterie, nature de la cible sont pris en compte. Les tirs étaient surtout efficaces à faible portée (moins de 600m) et on en tient compte avec un pic maximum pour les tirs à 200m à mitraille. Les tirs d’opportunité sont également présents.
Les concentrations de troupes respectent un logique historique : pas plus d’un pion de régiment à 16 pas de pertes soit 2400 hommes dans un hexagone de 200m, ce qui fait 3 bataillons en ligne à demi-distance de bataillon. Là l’hexagone est complet ! Le feuillet sur les notes de conception développe ce point.
Les combats d’infanterie se font par des fusillades avec régiments adjacents sur la carte. Les combats à la baïonnette étaient rarissimes (hors surprise réciproque à courte distance) et ne sont pas représentés (le feuillet sur les notes de conception développe ce point). Dans ces combats le facteur nombre compte certes, mais moins que la faculté d’encaisser les pertes sans broncher, bref que la cohésion. Le choix des valeurs de pertes que les dés de combat affichent a été calibré en fonction des performances au combat des fusils de l’époque, notamment en s’inspirant de l’étude très fouillée tirée du remarquable livre de Eric Dauriac, « Les armes de Napoléon ».
Les charges de cavalerie obéissent à des règles classiques, avec par exemple en fin de charge pour l’unité victorieuse un recul de 6 hexagones pour se reformer, avec passage à l’état de désorganisé. Hors de question de lancer charges sur charges sans temps de réorganisation… La cavalerie qui charge l’infanterie annule sa charge si l’infanterie réussit son passage en carré, et la continue dans l’autre cas, mais l’infanterie qui n’a pu passer en carré peut tenter de repousser la charge quand même par ses tirs, mais avec un malus au dé…
Les ralliements d’état de cohésion se font de plus en plus difficilement selon que l’on est « choqué », « désorganisé », « en déroute » ou « brisé ».
Les ralliements de traînards sont possibles mais rendus difficiles car en pleine bataille ce n’était pas évident historiquement.
Voilà, je pense que nous avons fait le maximum pour respecter l’Histoire*, car nous l’aimons et ne voulons pas la violer, sans pour autant tomber dans un wargame injouable car trop complexe en gameplay. Les innovations techniques sur les pions de régiments et les dés ont été introduites pour réussir ce pari: un vrai wargame certes, mais agréable à jouer. Avons-nous réussi à reproduire « l’impression » que donne une bataille napoléonienne ? A chacun de juger, selon ses conceptions personnelles forcément, puisque pas une personne qui lit ces lignes n’a vécu la chose…
* J'ai arpenté la plaine de Marengo à l'été 2015, et nous nous sommes appuyés Serge et moi sur une grosse bibliographie pour ne rien perdre des détails de cette bataille:
Bibliographie :
* Les armes de Napoléon, Eric Dauriac. Éditions Balezy (2011).
* Napoléon Bonaparte la deuxième campagne d'Italie 1800 Jean Tranié et J-C Carmigniani. Éditions Pygmalion (1991).
* Marengo et la campagne de 1800 par Alain Pigeard dans la revue Gloire et Empire N°47 mars/avril 2013.
* Le Grand Consulat 1799-1804 par Thierry Lentz. Éditions Fayard (1999).
* La campagne de Marengo par le commandant de Cugnac. Paris librairie militaire R. Chapelot et Cie imprimeurs-éditeurs. 1904.
* Rapports des généraux français, rapports fait à l'état-major français. Rapport du maréchal autrichien Melas, et relation publiée officieusement en 1823 par l'état-major autrichien (dans la Revue militaire autrichienne).
* Histoire critique et militaire des guerres de la Révolution tome IV (campagnes de 1800 à 1803) par le Lieutenant général Jomini. J.B. Petit éditeur Bruxelles 1840.
* Les cahiers du capitaine Coignet (1799-1815). Librairie Hachette. Paris 1883.
* Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse. Tome 2. Paris Perrotin libraire éditeur. 1857.
* Aperçu militaire de la bataille de Marengo par le feld-maréchal Comte Neipperg. Le texte est paru dans le tome quatrième de la Revue de Paris (juillet-août 1906).
* Règlement concernant l'exercice et les manœuvres de l'infanterie du 1° août 1791.
* « La dernière campagne de Desaix », Annales historiques de la Révolution française, par Bruno Ciotti, 324 | 2001, 83-97.
* Charles Ardant du Picq "Etudes sur le combat" consultation sur Gallica