Je viens de lire l'article du VV106 consacré au Pacifique sud et j'ai tiqué sur plusieurs points. Je ne jette pas la pierre à l'auteur car je mesure bien la difficulté d'évoquer un sujet aussi vaste dans un minimum de place. Il me semble cependant d'apporter quelques précisions pour les lecteurs intéressés par la période.
La raison pour laquelle le porte-avions Zuikaku se retire pendant la bataille de la mer de Corail est qu'il n'a presque plus d'avions à bord et est incapable d'affronter les appareils alliés basés à Port-Moresby (Nouvelle-Guinée) et en Australie. Il ne s'agit donc pas d'une erreur de commandement mais d'une réalité opérationnelle tangible.
Il est inexact de dire que les porte-avions américains n'ont échappé à l'escadre de Mikawa lors de l'opération Watchtower (le débarquement à Guadalcanal), que parce qu'ils se sont repliés avant l'arrivée des navires japonais. Les porte-avions évoluaient à l'ouest de Guadalcanal, en mer des Salomons et ne se trouvaient pas sur la route japonaise. ils ne risquaient rien de ce point de vue là (ils étaient explosés aux attaques aériennes et sous-marines, mais c'est un autre problème).
Je suis surpris de ne voir aucune allusion au 'Tokyo Express' ou aux batailles aériennes au dessus d'Henderson Field dans les paragraphes consacrés à Guadalcanal. Pour information, le Tokyo Express était le surnom donné par les américains aux convois de destroyers japonais qui amenaient nuit après nuit hommes et matériel à Guadalcanal. Henderson Field était le nom de la base aérienne, qui a été la cible de nombreux raids japonais, lesquels ont souvent étrillés par la chasse américaine. Par ailleurs, il manque sur la carte les batailles de Tassafaronga et de Santa Cruz.
L'encadré consacré aux causes de l'échec japonais n'évoque qu'une facette - et pas des plus importantes - du sujet. Il faudrait à mon humble avis évoquer l'absence de matières premières et la faiblesse de l'industrie, et l'impossibilité pour la Japon à définir et suivre une stratégie.
La marine et l'armée mènent en effet deux guerres séparées, sans réelle concertation ni coordination. L'antagonisme entre eux est tel qu'ils se cachent des informations pourtant essentielles à la conduite de la guerre. La marine cache pendant deux ans à l'armée l'étendue du désastre de Midway. L'armée n'est pas en reste ; à l'époque de Midway, elle sait pour avoir cassé certains codes américains, que les Etats-Unis ont eux-même cassé le code de la marine mais n'avertit pas pour autant la marine, qui perd la bataille pour cette raison. A Guadalcanal, la marine sera à plusieurs reprises mise dans l'embarras (le mot est faible) par le refus de l'armée d'informer la marine de l'échec de l'offensive terrestre.
L'impossibilité de définir une stratégie tient également aux modalités de prise de décision au Japon à partir des années 20. Pour faire simple, on constate un kidnapping du processus de prise décision par les échelons subalternes. Le pouvoir est d'abord pris aux civils par les militaires, puis se diffuse progressivement dans les échelons inférieurs de la hiérarchie. L'armée en Chine jouit de facto d'une indépendance de plus en plus grande au fil du temps, qui aboutit en 1937 à l'attaque de canonnières britanniques et américaines par des éléments isolés de l'aviation japonaise, sans aucun ordre de leur hiérarchie.
Dans la marine, l'amiral Yamamoto, qui n'est pas le chef de la marine mais le commandant de la flotte combinée (une composante majeure de la marine), impose à sa hiérarchie les opérations contre Pearl Harbor puis contre Midway, en menaçant de démissionner.
Je tiens par ailleurs à corriger deux points à propos de Pearl Harbor. Premièrement, l'escadre japonaise est commandée par le vice-amiral Nagumo et non Naguno (probablement une faute de frappe, mais dans le doute je préfère préciser).
Deuxièmement, il n'a jamais été question d'un troisième raid sur les infrastructures de la base. C'est un mythe construit aprèsguerre par Mitsuo Fuchida, l'aviateur ayant dirigé l'attaque sur Pearl harbor, et dont les mémoires ont - hélas - fortement influencé les historiens de l'après guerre. Je dis hélas car cette personne a pris beaucoup de libertés avec la réalité et à dépeint les évènements tels qu'ils l'avantageaient lui et non tels qu'ils se sont déroulés. Une attaque contre les infrastructures n'a jamais été envisagée par les japonais et n'était pas réalisable compte-tenu des circonstances. Les japonais s'attendaient à de lourdes pertes en attaquant Pearl Harbor et n'ont jamais envisagé de prendre des risques supplémentaires pour lancer une attaque contre des infrastructures par ailleurs tout à fait inutile dans l'optique d'une guerre courte.
Un dernier mot sur l'encadré consacré à l'amiral Yamamoto : bien que la marine ait fait des plans pour envahir Hawaii (et Ceylan, et l'Australie, etc.), il ne fait aucun doute que l'invasion d'Oahu dépassait de très loin les capacités de projection de puissance du Japon. L'armée n'avait pas les troupes nécessaires, et le pays n'avait pas assez de navires pour transporter le corps expéditionnaire et pour le le ravitailler. La marine aurait été du reste bien incapable de protéger les lignes de communication entre Hawaii et le Japon.
Je finis sur la biographie. J'y ajouterai quelques ouvrages de référence :
* Guadalcanal de Richard B. Frank pour la campagne sus-nommée ;
* Empires in the Balance et The Barrier and the Javelin de de H.P. Willmott pour une vision d'ensemble du début de la guerre
* Black Shoe Carrier Admiral de John B. Lundstrom pour les opérations aéronavales américaines jusqu'en août 42.