Voilà, voilà.
La critique est un peu dure, peut être excessive, mais chacun se fera son opinion. :
"La bataille de Waterloo de Jean-Claude Damamme
La déroute...
Le livre n'est pas neuf. Dans tous les sens du terme... Jean-Claude Damamme se prétend spécialiste du premier empire, c'est un grand admirateur du maréchal Lannes. Heureusement, en 1815, Lannes était mort. A la lecture du récit de Damamme, il se serait retourné dans sa tombe.
Le livre se présente en une succession de chapitres aux titres évocateurs :
En route pour la morne plaine
Gentlemen et vermine verte
Gand : la dolce vita
César franchit le rubicon
Le bal dans la nuit
Ligny : la victoire inachevée
La poursuite infernale
Les hommes de boue
Le dernier matin
Le premier choc
Le massacre des centaures
L'hallali
La mort aux trousses
Champ d'horreurs
Honneur à la Belgique !
Le jeu consiste à faire correspondre les épisodes de la campagne de 1815, à ces beaux titres.
Chaque chapitre est ensuite constitué de points de vue.
On se transporte ainsi de lieu en lieu, dans l'un ou l'autre camp, pour suivre les protagonistes de l'affaire. Le récit est ainsi bien soutenu et varié. Le style est parfois un peu pathétique mais, en général, à quelques grosses fautes de français près, c'est bien écrit.
Malheureusement, il ne suffit pas de bien écrire pour donner un bon récit.... Il faut encore y comprendre quelque chose.
Damamme s'appuie, et cela, nul ne songera à lui reprocher, sur une vaste documentation. Dit-il... Malheureusement, en parcourant sa bibliographie, on constate qu'il n'a pas consulté certaines des sources qu'il cite, notamment les sources anglaises. Ou bien il ne les a pas comprises. Je crois que c'est là que se trouve le noeud de l'affaire : Damamme ne comprend pas les sources qu'il dit avoir consultées. Sans aller jusqu'au détail, je prendrai trois exemples. Damamme nous conte le séjour de Napoléon à Beaumont le 14 juin au soir, son passage à Jamioulx le 15 dans la matinée et sa traversée de Charleroi le 15 dans l'après-midi. Le tout est rempli de détails pittoresques et on se dit que Damamme ne peut les avoir inventés. Il faut attendre la toute dernière partie de cet épisode, à savoir le combat de Gilly, pour que, dans une note de fin de volume, il nous dise qu'il a consulté un ouvrage "rare" (sic) d'un certain Armand Libioulle, sénateur de Charleroi dans les années 1890. En cherchant dans la bibliographie, on retrouve la référence exacte de cet ouvrage "rare" : il s'agit d'un article du Bulletin de la Société d'études napoléoniennes, daté de 1965. Théo Fleishmann, en présentant cet article, nous explique qu'il est extrait de notes prises effectivement par Armand Libioulle, dans les dernières années du 19e siècle, se basant sur des témoignages recueillis dans les localités citées. Je passe sur le péril qu'il y a à se fonder sur des témoignages recueillis plus de soixante-dix ans avant les faits. Libioulle le savait tellement bien qu'il n'a finalement jamais écrit l'ouvrage qu'il projetait et qu'il s'est contenté de laisser des notes qu'a heureusement recueillies Théo Fleishman et qui se trouvaient dans les archives du musée du Caillou.
Voilà donc fixée la source de Damamme. Evidemment, vicieux comme je le suis, j'ai été consulter cet article et cela ne présentait vraiment aucune difficulté.
Et que voyons-nous ? Damamme n'a rien compris aux notes de Libioulle... Il y a de multiples exemples. Je n'en prendrai que deux : ils sont assez significatifs pour juger de la qualité historique du bouquin.
Chacun sait que Ney est arrivé fort en retard à Beaumont dans la soirée du 14 juin. Il n'avait pas trouvé de chevaux et avait dû voyager avec son aide de camp, le colonel Heymès, sur une charrette de paysan. A Beaumont, il n'a pu voir l'empereur qui était déjà couché. Comme Beaumont était encombré, il ne trouva pas de logement. C'est ici que cela se corse... Damamme nous dit sans sourciller que l'intendant de la famille Duquesne, un certain M. Daure, eut la complaisance de céder sa chambre au maréchal, sans quoi il eût été condamné à dormir à la belle étoile. Lu comme cela, personne ne soupçonnerait quoi que ce soit. Mais, en grattant un peu, on découvre que M. Daure n'était pas l'intendant de la famille Duquesne, mais l'intendant général de l'Armée du Nord. Un personnage considérable donc. Et cette indication, c'est le colonel Heymès qui nous la donne (il écrit "le comte d'Aure"). Donc, si Damamme avait lu Heymès, il n'aurait pas ravalé Daure au rang de simple domestique... Or il cite Heymès dans sa bibliographie...
Bizarre, disiez-vous ?
Lorsqu'il est question de Charleroi, Damamme commence par expliquer le trajet effectué par Napoléon de manière suffisamment embrouillée pour qu'on n'y comprenne rien. Or Libioulle nous décrit ce trajet en détail. Il nous prend presque par la main pour nous conduire de la maison Puissant au cabaret Belle-Vue. Mais si on ne connaît pas un tout petit peu Charleroi, c'est assez difficile à comprendre. Nous sommes au regret de dire aux Carolos que M. Damamme n'a jamais mis les pieds dans leurs murs... Mieux : à un certain moment, Napoléon s'arrête et du haut de l'ancien rempart de Charleroi, il contemple le paysage, Marchiennes, etc. (A lire Damamme, on croirait qu'il s'arrête à la limite des villes hautes et basses, d'où il est impossible d'apercevoir le clocher de Marchienne.) Il s'adresse à un bourgeois qui se trouve là et lui demande quelques précisions. Ce bourgeois s'appelle "M. OUINET", nous dit Damamme. Le détail doit certainement venir de Libioulle, mais ce nom, OUINET, est assez étrange, en tout cas peu courant. Vérification faite, c'est presque exact : Libioulle nous dit que l'homme s'appelait QUINET et ce nom apparaît deux fois. Mais l'imprimeur du Bulletin de la Société d'études napoléoniennes a quelques soucis dans sa casse : la queue du Q de Quinet est un peu usée dans un cas, et presque effacée dans l'autre. Mais il n'y a aucun doute : en examinant un peu attentivement le texte imprimé, il ne peut s'agir que d'un Q. Pas pour Damamme qui écrit TROIS FOIS "OUINET".
On pourrait multiplier les exemples à l'infini. Une seule conclusion à tirer : Damamme ne comprend pas ce qu'il recopie.
Ajoutons à cette critique de la méthodologie, une autre qui tient à l'objectivité. Il est inutile d'en chercher le moindre indice ici. Napoléon est un très grand génie et tous les autres des minables : Wellington est un nul, Blücher est un sauvage, les maréchaux Ney et Grouchy, des idiots sinon des traîtres, etc. Bref toutes les idées reçues depuis Thiers. A lire tout cela, on se demande bien par quel hasard, l'empereur a perdu cette bataille de Waterloo.
Quand au dernier chapitre "Honneur à la Belgique", c'est de la démogagie à l'état pur. Les paysans du coin auraient soigné les blessés français avec courage et abnégation parce que ceux-ci étaient abandonnés sans secours par les vainqueurs. Or c'est faux. Si certains habitants du coin se sont montré généreux, la plupart de ceux qui rôdaient dans les parages n'étaient rien d'autre que des détrousseurs de cadavres. Le capitaine Mercer raconte qu'il avait dû intervenir contre des civils qui secouaient un officier français blessé comme un prunier pour le dépouiller de ses objets de valeur. Et le malheureux suppliait l'officier anglais et son compagnon allemand pour qu'il l'achèvent : "Tout plutôt que de tomber aux mains de ces maudits paysans belges".
Il est temps de conclure.
Si l'on a envie de lire un récit de la campagne de 1815, truffé d'erreurs et rempli d'idées reçues (Ney, Grouchy, Wellington, tout le monde y passe sauf l'empereur génial) après la lecture duquel on ne comprend plus rien à ce qui s'est passé du 15 au 18 juin, je conseillerai Damamme. Pour ceux qui veulent avoir un ouvrage sérieux sur Waterloo, je leur recommanderai plutôt le "Waterloo Companion" de Mark Adkin, que j'ai critiqué ici-même il n'y a guère."