« Louis XI ou le joueur inquiet », d'Amable Sablon du Corail (chez Belin) renouvelle en profondeur l'approche que l'on peut avoir du fils de Charles VII, notamment par rapport à la biographie de référence, excellente, mais excessivement favorable à Louis XI, de Paul Murray Kendall. L'ouvrage dépeint le parcours d'un roi, passionné par l'intrigue, la politique et la guerre, et qui a finit par obtenir les plus importants agrandissements du domaine royal depuis Philippe Auguste. L'auteur montre les particularité d'un souverain, parfois réduit à tort au seul bon diplomate qu'il était : "Au cours de la campagne de Normandie, on vit pour la première fois à l'aeuvre ce qui fut la grande force de Louis XI, sa spécificité et comme sa marque de fabrique, à savoir une parfaite intégration de l'action militaire et de l'action politique. On en donne parfois une analyse fautive en faisant de Louis XI un homme qui préférait la diplomatie à la guerre. Il n'en était rien. Le roi choisissait toujours la solution qui paraissait la plus efficace et la plus rapide. En excellent soldat qu'il était, il connaissait les risques de la guerre et ne recourait à la force qu'après s'être assuré de l'emporter" (page 183).
Tout en traitant du contexte général du XVème siècle et en évoquant la personnalité du roi, le très bon livre de Sablon du Corail parle en premier lieu de la volonté de puissance de Louis XI et de ses conséquences. "Il allait de soi que les princes ne disposaient pas librement de leurs corps, ils étaient mariés dès leur naissance et les mariages étaient consommés au sortir de l'enfance" (...) "Cela ne doit pas occulter le caractère essentiellement dissuasif de la violence politique de Louis XI. Elle ne touchait qu'un très petit nombre de personnes, et peu d'entre elles perdirent leur vie ou leurs biens. Les maeurs s'étaient beaucoup adoucies de puis l'Empire romain et les royaumes barbares" (page 306).
La diplomatie et la guerre occupent le devant de la scène. Le fil conducteur de cette biographie est la lutte engagé par le roi de France pour prendre la mesure des ses voisins bretons, bourguignons et anglais. L'auteur parvient, au fil des chapitres et de l'évolution dans le temps des capacités et des méthodes du roi, à dégager les raisons du succès de Louis XI : "Le registre dont il jouait était d'une extrême variété. Louis XI savait instinctivement adapter son comportement aux circonstance. Il était imprévisible, non parce qu'il avait un caractère instable, mais parce qu'on ne pouvait savoir à l'avance comment il réagirait. Ses adversaires étaient tellement primaires ! Charles le Téméraire était orgueilleux et trop sûr de lui ; il fallait lui trouver des ennemis et détourner son agressivité du royaume. Edouard IV et François II étaient rusés mais indolents ; ils ne cherchaient que la paix pour leurs Etats et la sécurité pour eux-mêmes. Jean II d'Aragon les surpassait tous en cynisme et en cautèle ; le tout était de savoir le trahir le premier. Louis Xi pouvait être offensif ou craintif, dissimulateur ou hésitant, audacieux ou prudent, arrogant ou humble, dissimulateur ou d'un naturel désarmant. Commynes souligne l'erreur d'appréciation la plus généralement commise par les ennemis de Louis XI : Et ils tenaient le roi pour craintif ; c'est vrai qu'il lui arrivait de l'être, mais il ne l'était jamais sans qu'il y eût une raison" (page 317). Fait suffisamment rare dans une biographie d'un auteur français pour qu'on le signale, le livre propose un encart de huit cartes en pleines pages et en couleur, dont un schéma détaillé de la bataille de Montlhéry et deux cartes sur les différentes phases de la guerre du Bien Public. Les recherches menées par l'auteur témoignent enfin de l'activité forcenée de Louis XI qui culmine dans sa lutte à mort menée contre la Bourgogne du Téméraire.
Point capital pour comprendre Louis XI, l'auteur démontre combien, après des débuts quelques peu transgressifs, le roi qu'il est devenu s'inscrit parfaitement dans la continuité du "grand projet" capétien. A titre d'exemple : "En 1469, le pape Paul II conférait au roi de France le titre de roi très chrétien. Le glorieux superlatif, qu'on trouvait depuis longtemps sous la plume des propagandistes du roi, était désormais agréé par le souverain pontife ; il venait couronner un demi-millénaire de piété capétienne et de vertus héroïques" (page 267). Le règne de Louis XI marque une étape supplémentaire dans l'affirmation de l'Etat royal français, dans sa montée en puissance, notamment après l'effondrement de la Bourgogne. La cohérence de l'action du roi, qui le pousse à renouer avec les fils de la politique de ses prédécesseurs et notamment celle de son père, après les avoir contesté dans sa jeunesse, est une belle preuve de son appropriation de la "mission" qui lui incombe.
« Louis XI ou le joueur inquiet » requiert une lecture attentive. Le style est précis, le fond est complexe et demande un effort d'attention important.
Dernière édition par Semper Victor le Mar 21 Fév 2012 - 9:33, édité 1 fois