J'ai passé quelques jours au Nouveau Brunswick (province atlantique du Canada) la semaine dernière et suis tombé un peu par hasard sur le Fort Beauséjour (on va là bas principalement pour les plages et les fruits de mer, rarement pour des ruines historiques). Malgré la modestie des lieux, leur impact historique est majeur car les événements qui s'y sont déroulés ont conduit à la déportation massive et systématique de toute une colonie.
La colonie acadienne
Les premiers colons s'installent dans la région qu'ils appellent Beaubassin dans les années 1670, et représentent déjà 22 fermes une quinzaine d'année plus tard. Ils développent l'agriculture dans les marais et prospèrent comme ils savent le faire jusqu'à représenter la colonie acadienne la plus active de l'époque. Cible de représailles anglaises à la fin du siècle, la colonie verra son intérêt stratégique aller croissant dès que la France cède l'Acadie à l'Angleterre en 1713. La frontière n'ayant pas été tracée de façon explicite, Beaubassin devient l'enjeu d'un litige territorial au sein duquel les colons tirent parfaitement leur épingle du jeu en commerçant avec les deux puissances et les villages amérindiens locaux. A la construction du fort, la colonie est forte de 3000 âmes, renforcée par des acadiens fuyant la Nouvelle Ecosse. Néanmoins, les acadiens refusent systématiquement de prêter le serment d'allégeance exigé par les anglais. 700 pourraient prendre les armes, mais aucun ne veut pour autant s'attirer le courroux anglais, aussi la neutralité reste de mise (la présence des deux forts est une manne économique). Cette situation engendre la même méfiance envers les acadiens dans les deux camps rivaux. Lorsque le siège du Fort Beauséjour se déroule, la garnison en place aura rallié entre 200 et 300 colons pour assurer la défense. Les familles acadiennes qui n'ont tenté de résister et de se cacher après la prise du fort en 1755 ont mené une vie de captifs jusqu'au départ des autorités anglaises (1768). C'est à ce moment que d'autres déportés reviennent d'Europe ou des colonies américaines et fondent une seconde Acadie.
Le fort
Les anglais fondent Halifax (Nouvelle Ecosse) pour contrebalancer la présence de Louisbourg, ville forte française du Cap Breton. En réponse, la Nouvelle France protège l'axe de communication entre Beaubassin et Québec. En 1750, les anglais érigent le Fort Lawrence à l'emplacement du village de Beaubassin abandonné par les colons. La France ordonne alors de construire un fort à la Pointe à Beauséjour, juste en face du fort anglais. Son ambition est modeste: abriter quelques soldats (200 en 1755) et un entrepôt. Il ne peut pas résister à un siège armé en 1755 et devient Fort Cumberland. Les anglais accroissent sa capacité de casernement à 800 soldats, sans toutefois n'y laisser une garnison plus forte que 200 hommes. L'occupation ne dépasse pas 1768, l'intérêt stratégique ayant fortement diminué après que des colons néo-anglais se soient installés dans la région de Beaubassin. En 1776, des patriotes américains profitent de l'incertitude entourant la loyauté de la Nouvelle Ecosse envers la couronne britannique et envoient un détachement pour capturer le Fort Cumberland et "add another stripe to the American flag". La défense est mal assurée par un régiment provincial, pauvrement équipé dans un fort abandonné et en piètre état. Les anglais envoient un renfort de 40 marines et dispersent ou capturent les patriotes américains. Les anglais réinvestissent la place jusqu'à la fin de la guerre d'indépendance américaine, restaurent et agrandissent le fort. Une garnison minimale reste ensuite en poste jusqu'à la guerre de 1812 où deux régiments l'occupent. Son abandon est décidé en 1820 et effectif en 1835.
Le siège
Le 2 juin 1755, près de 2300 soldats anglais équipés de pièces d'artillerie débarquent et, le 12, assiègent le Fort Beauséjour en coupant ses lignes de ravitaillement avec la Baie Verte (contrôlée par les français, tandis que les anglais contrôlent la Baie de Fundy). Sous le bombardement anglais, il ne faut que quelques jours pour que le commandant du fort réalise l'impasse dans laquelle le refus de Québec de lui envoyer des renforts le plonge. Limitant les pertes, il se rend le 16 juin. Le fort est renommé Fort Cumberland, les acadiens désarmés sont relâchés.
Le Grand Dérangement
Un nouveau gouverneur-général est nommé en 1753 en Nouvelle Ecosse. Devant le refus obstiné des acadiens de prêter serment et leur participation à la défense du Fort Beauséjour, leur droit d'occuper la terre (la plus fertile de la province) est révoqué et leur expulsion décidée le 28 juillet 1755. Ceux qui ne choisiront pas de se réfugier en Nouvelle France se voient dépouillés de tout, sauf leurs propres richesses personnelles, et seront déportés jusqu'en 1762 vers les colonies anglo-américaines, la France ou l'Angleterre. Les colonies américaines à qui l'on impose ce fardeau les accueillent de mauvais gré (la Virginie les refoule purement et simplement) et les acadiens sans terre se préparent à une vie de misère en tant que réfugiés. Parmi ceux qui ont rejoint le Vieux Monde, plusieurs reprendront le large et aboutiront en Louisiane qui voit d'un bon oeil cette immigration catholique. Ce Grand Dérangement aura frappé entre 6000 et 7000 acadiens et explique la présence de patronymes d'origine française sur la côte est des US of A, ainsi que le folklore cajun.
L'Acadie aujourd'hui
Forcés de prendre un nouveau départ, les acadiens sont dispersés géographiquement. On les retrouve dans les provinces maritimes canadiennes, et en Gaspésie (Québec). La fête "nationale" est le 15 août, prétexte aux retrouvailles patronymiques rassemblant jusqu'aux exilés est-états-uniens. Ces provinces sont majoritairement anglophones mais les acadiens du Nouveau Brunswick ont conservé leur parler français (aujourd'hui fortement teinté de québécois, destination vacance oblige). En fait, il est conseillé de s'accrocher quand on parle à un néo-brunswickois: la phrase peut commencer en français, se poursuivre en anglais, revenir au français etc... Ils parlent les deux langues en même temps! Il ne s'agit pas simplement d'anglicismes (il y en a plusieurs), mais ils passent de l'une à l'autre sans y prêter attention. La spécificité acadienne s'étiolant avec le temps, le folklore et la sagesse ancestrale doivent survivre. Antonine Maillet, native de Bouctouche, fait revivre ce peuple à travers ses romans (Goncourt 1979 pour Pélagie la Charette) et surtout les monologues de la Sagouine qui se lisent comme les Lettres de mon Moulin et mettent en avant une vieille femme dans un village imaginaire. Ce village est d'ailleurs l'objet d'un parc touristique interactif très amusant.
La colonie acadienne
Les premiers colons s'installent dans la région qu'ils appellent Beaubassin dans les années 1670, et représentent déjà 22 fermes une quinzaine d'année plus tard. Ils développent l'agriculture dans les marais et prospèrent comme ils savent le faire jusqu'à représenter la colonie acadienne la plus active de l'époque. Cible de représailles anglaises à la fin du siècle, la colonie verra son intérêt stratégique aller croissant dès que la France cède l'Acadie à l'Angleterre en 1713. La frontière n'ayant pas été tracée de façon explicite, Beaubassin devient l'enjeu d'un litige territorial au sein duquel les colons tirent parfaitement leur épingle du jeu en commerçant avec les deux puissances et les villages amérindiens locaux. A la construction du fort, la colonie est forte de 3000 âmes, renforcée par des acadiens fuyant la Nouvelle Ecosse. Néanmoins, les acadiens refusent systématiquement de prêter le serment d'allégeance exigé par les anglais. 700 pourraient prendre les armes, mais aucun ne veut pour autant s'attirer le courroux anglais, aussi la neutralité reste de mise (la présence des deux forts est une manne économique). Cette situation engendre la même méfiance envers les acadiens dans les deux camps rivaux. Lorsque le siège du Fort Beauséjour se déroule, la garnison en place aura rallié entre 200 et 300 colons pour assurer la défense. Les familles acadiennes qui n'ont tenté de résister et de se cacher après la prise du fort en 1755 ont mené une vie de captifs jusqu'au départ des autorités anglaises (1768). C'est à ce moment que d'autres déportés reviennent d'Europe ou des colonies américaines et fondent une seconde Acadie.
Le fort
Les anglais fondent Halifax (Nouvelle Ecosse) pour contrebalancer la présence de Louisbourg, ville forte française du Cap Breton. En réponse, la Nouvelle France protège l'axe de communication entre Beaubassin et Québec. En 1750, les anglais érigent le Fort Lawrence à l'emplacement du village de Beaubassin abandonné par les colons. La France ordonne alors de construire un fort à la Pointe à Beauséjour, juste en face du fort anglais. Son ambition est modeste: abriter quelques soldats (200 en 1755) et un entrepôt. Il ne peut pas résister à un siège armé en 1755 et devient Fort Cumberland. Les anglais accroissent sa capacité de casernement à 800 soldats, sans toutefois n'y laisser une garnison plus forte que 200 hommes. L'occupation ne dépasse pas 1768, l'intérêt stratégique ayant fortement diminué après que des colons néo-anglais se soient installés dans la région de Beaubassin. En 1776, des patriotes américains profitent de l'incertitude entourant la loyauté de la Nouvelle Ecosse envers la couronne britannique et envoient un détachement pour capturer le Fort Cumberland et "add another stripe to the American flag". La défense est mal assurée par un régiment provincial, pauvrement équipé dans un fort abandonné et en piètre état. Les anglais envoient un renfort de 40 marines et dispersent ou capturent les patriotes américains. Les anglais réinvestissent la place jusqu'à la fin de la guerre d'indépendance américaine, restaurent et agrandissent le fort. Une garnison minimale reste ensuite en poste jusqu'à la guerre de 1812 où deux régiments l'occupent. Son abandon est décidé en 1820 et effectif en 1835.
Le siège
Le 2 juin 1755, près de 2300 soldats anglais équipés de pièces d'artillerie débarquent et, le 12, assiègent le Fort Beauséjour en coupant ses lignes de ravitaillement avec la Baie Verte (contrôlée par les français, tandis que les anglais contrôlent la Baie de Fundy). Sous le bombardement anglais, il ne faut que quelques jours pour que le commandant du fort réalise l'impasse dans laquelle le refus de Québec de lui envoyer des renforts le plonge. Limitant les pertes, il se rend le 16 juin. Le fort est renommé Fort Cumberland, les acadiens désarmés sont relâchés.
Le Grand Dérangement
Un nouveau gouverneur-général est nommé en 1753 en Nouvelle Ecosse. Devant le refus obstiné des acadiens de prêter serment et leur participation à la défense du Fort Beauséjour, leur droit d'occuper la terre (la plus fertile de la province) est révoqué et leur expulsion décidée le 28 juillet 1755. Ceux qui ne choisiront pas de se réfugier en Nouvelle France se voient dépouillés de tout, sauf leurs propres richesses personnelles, et seront déportés jusqu'en 1762 vers les colonies anglo-américaines, la France ou l'Angleterre. Les colonies américaines à qui l'on impose ce fardeau les accueillent de mauvais gré (la Virginie les refoule purement et simplement) et les acadiens sans terre se préparent à une vie de misère en tant que réfugiés. Parmi ceux qui ont rejoint le Vieux Monde, plusieurs reprendront le large et aboutiront en Louisiane qui voit d'un bon oeil cette immigration catholique. Ce Grand Dérangement aura frappé entre 6000 et 7000 acadiens et explique la présence de patronymes d'origine française sur la côte est des US of A, ainsi que le folklore cajun.
L'Acadie aujourd'hui
Forcés de prendre un nouveau départ, les acadiens sont dispersés géographiquement. On les retrouve dans les provinces maritimes canadiennes, et en Gaspésie (Québec). La fête "nationale" est le 15 août, prétexte aux retrouvailles patronymiques rassemblant jusqu'aux exilés est-états-uniens. Ces provinces sont majoritairement anglophones mais les acadiens du Nouveau Brunswick ont conservé leur parler français (aujourd'hui fortement teinté de québécois, destination vacance oblige). En fait, il est conseillé de s'accrocher quand on parle à un néo-brunswickois: la phrase peut commencer en français, se poursuivre en anglais, revenir au français etc... Ils parlent les deux langues en même temps! Il ne s'agit pas simplement d'anglicismes (il y en a plusieurs), mais ils passent de l'une à l'autre sans y prêter attention. La spécificité acadienne s'étiolant avec le temps, le folklore et la sagesse ancestrale doivent survivre. Antonine Maillet, native de Bouctouche, fait revivre ce peuple à travers ses romans (Goncourt 1979 pour Pélagie la Charette) et surtout les monologues de la Sagouine qui se lisent comme les Lettres de mon Moulin et mettent en avant une vieille femme dans un village imaginaire. Ce village est d'ailleurs l'objet d'un parc touristique interactif très amusant.