Bonjour à tous,
dans une précédente discussion, certains d'entre vous ont manifesté leur intérêt pour un document que j'ai créé il y a quelques années dans le but d'initier mes joueurs débutants aux bases de la tactique navale. Ne sachant pas comment leur transmettre, je le fais ici sous forme d'un long message. Que les modérateurs m'excusent si ce n'est pas le lieu ici pour ce genre d'exposé.
Ce document est à la fois très modeste et très personnel ; il n'a pas l'ambition d'être exhaustif, ni même d'une qualité exceptionnelle, et ne présente que mon point de vue sur le sujet à un moment donné. J'espère que vous me pardonnerez les erreurs et autres maladresses qui ne manqueront pas de s'être glissées dans ces lignes.
Ce qui va suivre est extrait du recueil de règles pour Amirauté que j'essaie vainement de mettre au point depuis des années. Je me suis permis de laisser les paragraphes qui suivent l'exposé sur les tactiques, car ceux-ci traitent de la façon de concevoir le jeu ; j'ai la faiblesse de croire que cela peut intéresser certains d'entre vous et, peut-être, susciter de nouvelles discussions.
QUELQUES ELEMENTS DE TACTIQUE NAVALE
S'approprier le scénario
La première des priorités est de bien lire et relire le scénario afin d'appréhender les différents paramètres de la bataille (conditions météorologiques, forces en présence, ...) et surtout de comprendre ce que vos supérieurs attendent de vous.
Ce dernier point est particulièrement important : un bon wargame n'est pas un jeu de massacre et couler des navires ne suffit pas toujours. Ainsi, un amiral chargé de l'escorte d'un convoi doit d'avantage se préoccuper de la survie des navires sous sa protection que de la destruction des forces adverses.
Pareillement il est toujours nécessaire de bien situer l'engagement dans un contexte plus vaste. Si au niveau tactique, un affrontement se soldant par des pertes égales est la plupart du temps comme un match nul, ces pertes peuvent être ressenties sur le plan opérationnel et stratégique plus ou moins durement, et s'avérer dramatiques pour les uns et secondaires pour les autres. La perte d'un croiseur est une fortune de mer pour la Royal Navy qui en a plus d'une cinquantaine, et une catastrophe pour la Kriegsmarine, qui n'en a pas une dizaine.
Replacer l'affrontement dans un contexte plus vaste permet également d'avoir un oeil critique sur le scénario, le dossier que vous transmet l'arbitre ayant en effet très probablement plusieurs failles, volontaires ou non. Les failles volontaires sont les omissions, imprécisions et erreurs consécutives aux lacunes des services de renseignement : ceux-ci, malgré tous leurs efforts, se trompaient fréquemment sur les intentions ou sur le dispositif de l'adversaire, et leurs indications devaient toujours être prises au conditionnel.
Il est également possible que l'arbitre fasse quelques erreurs ou omette de préciser certains détails, qui pour lui sont évidents mais qui ne le sont pas forcément pour les joueurs, dans le dossier du scénario. La plupart sont détectées avant le début du combat, avec pour seule conséquence un peu de retard dans le jeu, mais d'autres ne le sont que pendant ou après l'affrontement, ce qui parfois peut pénaliser certains participants.
Seule une connaissance suffisante en histoire navale peut donner aux joueurs le sens critique indispensable à une bonne appréhension du scénario, et nous invitons les joueurs à faire le nécessaire pour l'acquérir. Nous les encourageons également à ne pas hésiter à solliciter l'arbitre pour obtenir des éclaircissements sur les points qui posent problème. Rappelons que celui-ci assume un double rôle de gestionnaire de la partie (et à ce titre, doit renseigner les joueurs sur les aspects techniques du jeu et sur les points du scénario qui seraient obscurs) et d'état-major de chacun des joueurs. Il répondra pour cette raison, à toute question qu'un officier pourrait poser à ses subordonnés.
Elaborer un plan
Après avoir intégré les différents paramètres du scénario, il faut mettre au point un plan de bataille, c'est à dire une idée, une ligne directrice qui va structurer vos actions pendant l'affrontement. L'élaboration d'un plan de bataille est impératif : sans plan, on ne peut guère que réagir au coup par coup aux actions de l'adversaire, et donc subir sa volonté. Il est au contraire nécessaire de planifier, de prévoir ses actions et d'imposer sa volonté à l'ennemi.
Il est extrêmement difficile d'expliquer clairement comment mettre au point un plan de bataille, alors même qu'élaborer ce plan n'est pas si complexe. La clé est l'analyse des paramètres de la bataille, qui nourrit la réflexion sur les moyens de gagner l'affrontement. L'important est de discerner les points forts et faibles de chacun des deux partis, en fonction des forces respectives (une analyse en détail est souvent nécessaire), des conditions météorologiques et des conditions de victoire. L'étape suivante est, bien évidemment, de trouver un moyen d'exploiter ses propres points forts et / ou les points faibles de l'adversaire, tout en empêchant l'adversaire d'en faire autant.
Déterminer ses points forts et faibles ainsi que ceux de l’ennemi n’est, là non plus, pas une science exacte, mais un « art » où l’appréciation subjective a un grand rôle (ne serait-ce qu’à cause des renseignements insuffisants sur le dispositif adverse). Cette appréciation repose sur l’analyse fine des conditions de victoire et des forces en présence.
Les conditions de victoire dictent la façon de combattre, en incitant par exemple à s’engager à fond ou au contraire à refuser le combat. Une escadre en situation d’infériorité et / ou chargée de protéger un convoi a ainsi intérêt à se dissimuler derrière des rideaux de fumée pour limiter au maximum les échanges de tir.
L’examen des forces en présence permet de savoir quelles armes il est pertinent de mettre en avant, et dans quelles conditions. Dans le cas d’un affrontement entre un groupe de destroyers et des croiseurs, on comprend bien que l’intérêt des premiers est de réduire la distance au plus vite pour combattre à la torpille, tandis que les seconds ont tout à gagner à imposer un duel d’artillerie à grande distance, qu’ils sont certains de gagner.
La situation est parfois plus complexe que celle que nous venons d’évoquer, et il peut être nécessaire d’entrer un peu plus dans les détails techniques. Des bâtiments équipés de radar peuvent par exemple profiter de l’énorme avantage que leur confère ce senseur en combattant derrière un écran de fumée pour dissimuler leur position. Dans les duels d’artillerie cependant, les tactiques navales reposent sur le principe des zones d’immunité.
La zone d’immunité est un intervalle de distance à l’intérieur duquel un obus n’a plus la vitesse nécessaire pour percer la ceinture cuirassée de la cible et pas encore celle lui permettant de pénétrer le pont blindé1. Un navire qui est dans sa zone d’immunité est donc relativement à l’abri des tirs de son adversaire, et la situation idéale pour un commandant d’escadre est de placer ses navires de façon à ce qu'ils soient dans leur zone d’immunité sans que ceux de l’adversaire soient dans la leur. On peut ainsi imaginer, dans un affrontement entre des cuirassés modernes et des croiseurs de bataille anciens, l’avantage énorme que les premiers ont sur les seconds. Les obus des bâtiments récents peuvent pénétrer le blindage de leurs adversaires à n’importe quelle distance, tandis que ceux des navires plus anciens n’en sont capables qu'à certaines distances (par exemple, en deçà de 15.000 yards ou en delà de 25.000 yards).
Une fois cette réflexion achevée, il faut traduire ce qui n'est encore que des idées, en plan d’action concret. Après avoir décidé, par exemple, que les destroyers doivent torpiller les unités lourdes adverses, il faut réfléchir à l'application de ce concept : où placer les destroyers ? quels ordres leurs donner ? ... Cette réflexion doit aboutir à un cadre d'action général qui détermine les positions et les actions futures pendant la bataille des bâtiments sous vos ordres.
Pour autant, s'il est bien évidemment nécessaire de réfléchir à ce que pourrait faire l'ennemi, il faut se garder de penser qu'il fera ce que vous avez prévu, ou que ce que vous voudriez qu'il fasse. Il n'est pas impossible que votre adversaire se conduise (que ce soit par ruse ou par maladresse) d'une façon qui vous semble incompréhensible et imprévue.
Pareillement, si la planification des actions est indispensable, elle ne doit pas être trop rigide, et doit permettre de s'adapter aux circonstances mouvantes du champ de bataille : le plan de bataille le mieux conçu survit rarement aux aléas du combat.
Enfin, le plan doit être simple. Contentez-vous de décliner les principes tactiques que vous avez dégagés précédemment : les manœuvres alambiquées, les pièges subtils ne fonctionnent généralement pas, ne serait-ce que parce qu'il est difficile de les mettre en œuvre.
Pensez également que votre plan doit être compris de vos subordonnés : un plan génial compris de vous seul ne vous mènera qu'à la défaite. Profitez de la phase préparatoire de la partie pour bien expliquer donc bien à vos subordonnés ce que vous attendez d'eux ; il sera très difficile de le faire pendant l'affrontement.
Executer le plan
Le plus dur cependant n'est pas tant d'élaborer le plan de bataille que de le mettre en œuvre. Il n'y a là non plus pas de recette magique et je me contenterai de mettre l'accent sur trois points : persévérer, manœuvrer, combattre.
Persévérer c’est maintenir le cap dans l’adversité, c’est résister à la tentation d’abandonner son plan de bataille aux premières difficultés, c'est rester combatif, même dans la défaite et accepter les coups du sort, et en particulier les pertes. Ce dernier point d'ailleurs est particulièrement délicat : la guerre navale est souvent sanglante et les pertes inévitables. Il est capital que celles-ci ne vous déroutent pas et que vous mainteniez votre cap sans vous laisser démonter.
Pour autant, je ne vous invite pas à faire preuve de témérité et à sacrifier vos navires. Ceux-ci, tout comme les équipages qui les arment sont extrêmement précieux et doivent être préservés à tout prix. En résumé, il est sage d’abandonner la partie quand les choses commencent à mal tourner, tout comme il est lâche de le faire avant. Estimer quand il est nécessaire de décrocher est difficile et demande beaucoup de flair. La théorie, simple, veut qu’il faut rompre le combat lorsque la victoire devient improbable voire impossible ; sa mise en application n’est, reconnaissons-le, pas toujours évidente.
Manœuvrer, c’est faire évoluer ses forces de façon à appliquer le plan de bataille. L'art de la manœuvre repose sur trois principaux piliers : détecter, anticiper et commander.
Détecter l’adversaire au plus tôt tout en restant invisible est capital dans tout combat naval, mais tout particulièrement lorsque la visibilité est faible (combats de nuit par exemple). Il certes difficile de se dissimuler de jour, sauf à étendre des rideaux de fumée. Ceux-ci bloquent la ligne de vue pendant plusieurs minutes2 et sont particulièrement utiles aux navires en difficulté. De nuit la détection est beaucoup plus aléatoire, et dépend de nombreux paramètres (radar, vitesse, position par rapport à la terre, …) qu’il est indispensable de maîtriser. La détection nocturne peut être facilitée par l'utilisation de projecteurs ou d'obus éclairants, lesquels ont tous les deux leurs inconvénients. Les projecteurs illuminent autant le navire qui les utilise que celui qu'ils éclairent, et le tir d'obus éclairants implique l'emploi d'une tourelle d'artillerie à cet unique effet.
La détection ne reste cependant qu’un préalable ; l’art de la manœuvre, et donc l’application d’un plan de bataille repose sur l’anticipation de ses propres mouvements et de ceux de l’adversaire. Il est absolument indispensable, ne serait-ce que pour éviter les risques de collision, qu’un joueur ait en permanence une idée précise de la position que ses navires occuperont au tour prochain. Estimer leur position approximative plusieurs tours à l’avance s’avère généralement très précieux. Pareillement, prévoir où pourront se trouver les bâtiments adverses au tour prochain est pour le moins utile ; c’est en effet généralement indispensable pour lancer des torpilles dans de bonnes conditions et pour éviter celles de l’adversaire.
La manœuvre n’est cependant possible que si les forces sont efficacement commandées. La lecture et la maîtrise des règles relatives au commandement sont donc à ce titre fortement recommandées. Un commandement efficace commence par une organisation saine et des consignes3 précises, et s’exprime lors de l’affrontement par des ordres concis mais clairs. Les ordres que vous donnez sont l’aboutissement d’une réflexion nourrie par votre logique, vos connaissances et votre appréciation de la situation ; comprenez bien que les personnes qui recevront ces ordres (qu’il s’agisse de l’arbitre ou d’autres joueurs) ne fonctionnent pas forcement avec la même logique, n’ont pas les mêmes connaissances et n’appréhendent pas toujours la situation que vous.
En dernière analyse cependant, la manœuvre ne sert qu’à combattre dans les meilleurs conditions. Le combat constitue l’essence des affrontements, et la maîtrise de ses paramètres est indispensable. La victoire revient en effet souvent à qui sait utiliser ses armes de la meilleure façon.
L’artillerie de marine est l’arme maîtresse des combats navals. Si l’on exclut les interactions entre obus et cuirasse, déjà évoqués précédemment, ses paramètres sont relativement simples et de bon sens. La première chose est de manœuvrer ou de choisir une cible de façon à ce que toutes les pièces (ou tout au moins le maximum) soient battantes, tout en empêchant l’adversaire de faire la même chose. C’est la base de la manœuvre bien connue visant à « barrer le T » de l’adversaire.
Le choix de la cible ne doit pas être fait à la légère. Encadrer un navire demande du temps, durant lequel un certain nombre de salves sont tirées pour estimer la distance et la déflection. Ces salves ont peu de chances de toucher la cible et sont en quelque sorte « gâchées ». Il est donc contre-productif de changer de cible trop souvent. Celle-ci doit être choisie avec soin en fonction des conditions de victoire, du danger qu’elle représente et des capacités de l’arme utilisée. Le choix de la cible détermine également celui des munitions4, avec une certaine réserve toutefois : changer de type de projectile prend parfois un certain temps.
Enfin, tout doit être fait pour optimiser les chances d’impact et les joueurs doivent connaître les principaux paramètres des tirs d'artillerie. Parmi ceux-ci, la distance de tir est le plus important, et c’est sur lui que les joueurs doivent essayer de jouer. La distance de tir optimale est entre le tiers et les deux tiers de la portée maximale : les combats sont en général stériles au-delà de cette distance, et suicidaires en deçà. Pour autant, la distance influant tout autant les chances d’impact que la cadence de tir, il convient de mesurer les avantages et les inconvénients qu’il y a à combattre à une distance donnée.
L’exemple d’une confrontation fictive entre deux croiseurs, l’un lourd et l’autre léger, permet de mieux expliquer ce dernier point. A longue distance (plus de 15.000 yards), les pièces de 203 mm du premier ont l’avantage sur celles de 152 mm du second car ces dernières tirent en extrême limite de portée, ce qui altère fortement leur précision et leur cadence de tir. A l’inverse, l’avantage bascule en leur faveur lorsque la distance se réduit. A moins de 10.000 yards le croiseur léger peut tirer deux ou trois fois plus d’obus que son adversaire, avec une précision à peine inférieure.
Les probabilités d’impact dépendent cependant d’une multitude d’autres facteurs (qualité de contrôle de tir, visibilité, manœuvres évasives, etc.) avec lesquels les joueurs doivent jouer afin d’optimiser leur chances de succès et / ou d’abaisser celles de leur adversaire. Je ne peux que les conseiller pour cette raison de lire et relire le chapitre des règles consacré à l’artillerie navale.
Les torpilles sont une arme potentiellement redoutable dont l’utilisation est cependant délicate. Celles-ci doivent être lancées en masse, à très courte distance et sur une cible qui se rapproche. L’expérience montre que même lorsqu’on réussit à réunir ces trois paramètres, les impacts sont rares, car la cible a souvent la possibilité de détecter et d’éviter les torpilles. Pour cette raison, ces armes ont, en plein jour, un rôle d’avantage dissuasif qu’effectif. Leur présence dissuade généralement l’adversaire de s’approcher ou de franchir un écran de fumée. L’efficacité des torpilles et multipliée lorsque les conditions de visibilité sont mauvaises car il est difficile de détecter leur lancement et de repérer leur sillage. Elles deviennent dans ces conditions une arme extrêmement redoutable, pour peu qu’on sache les utiliser.
L'ESPRIT DU JEU
Le rôle des joueurs
Précisons de nouveau que les joueurs sont placés dans la situation d’un commandant d’escadre ou de théâtre. En conséquence, ils ne contrôlent pas directement leurs unités, qui sont dirigées par l’arbitre en fonction des ordres qui lui ont été transmis. Une erreur ou une ambiguïté lors de la rédaction des ordres peut l’amener à faire agir une unité d’une façon non conforme aux vœux d’un joueur.
Pour autant, les impératifs du jeu nous obligent parfois à faire quelques entorses à ce principe. Il est en effet difficile d'envisager qu'un joueur tienne le rôle d'un amiral dirigeant une escadre ou une division navale et qu'un autre assume celui du commandant du bâtiment sur lequel l'amiral est embarqué : le même joueur endossera les deux rôles.
Pareillement, un joueur responsable de l'aviation terrestre cumulera généralement plusieurs rôles. Il sera à la fois l'officier supérieur qui détermine la nature des missions et l'officier de terrain qui en réglera les détails techniques.
On notera avec intérêt qu’un joueur ne peut commander que des unités sur lesquelles il a autorité et avec qui il peut communiquer. Le premier point reflète les difficultés qu’ont connu des unités relevant de différents commandements à coordonner leurs actions (marins et aviateurs par exemple) tandis que le second pose le problème du silence radio, nécessaire à une évolution furtive, mais qui limite sérieusement les communications entre unités éloignées.
Chaque scénario devra donc expliquer clairement l’organisation du commandement, tant au niveau opérationnel qu’au niveau tactique. Au niveau opérationnel, on peut trouver par exemple un commandant de secteur qui chapeaute l’opération, un commandant pour chaque flotte en mer, un commandant pour les sous-marins, et un autre pour l’aviation terrestre sinon pour chaque base aérienne.
Au cours d’une partie ayant pour thème la bataille de la mer de Corail, le joueur américain (qui tient le rôle de l’amiral Fletcher, commandant de la TF 17), n’a aucune autorité sur les unités en Australie, la TF 17 relevant de l’amiral Nimitz, tandis que les unités en Australie et en Nouvelle-Guinée dépendant de Mac Arthur. Le joueur japonais, lui, devra définir très clairement son rôle. S’il endosse celui de l’amiral Takagi, commandant de la flotte des porte-avions, il ne commandera que cette escadre. S’il choisit le rôle de l’amiral Inouye, commandant en chef de l’opération, il aura autorité sur toutes les forces engagées, mais suivra la bataille de très loin et ne pourra peut-être pas commander efficacement ses unités.
La doctrine
Amirauté étant un jeu de simulation historique, les ordres donnés par un joueur doivent être comparables à ceux que pourrait avoir donné dans les mêmes circonstances un amiral de l’époque. En d’autres termes, les ordres contraires à l’esprit du jeu car stupides, fantaisistes ou suicidaires doivent être, dans la mesure du possible, proscrits.
Il est, à cet égard, particulièrement important de replacer le moindre engagement dans le contexte général d’un conflit mondial. Les joueurs doivent être particulièrement vigilants à ne pas sacrifier inutilement les unités qu’ils commandent, que ce soit par dépit ou par désir de grappiller quelques points de victoire, en particulier si le pays pour lequel ils combattent n’a pas les moyens de combler les pertes.
La meilleure façon de respecter l’esprit du jeu est de respecter la doctrine en vigueur dans les forces navales (ou aériennes) dans laquelle un joueur sert. Définir avec précision le mot doctrine n’est pas aisé, mais pourrait l’être ici grossièrement comme l’ensemble des tactiques et procédures qu’utilisent une armée, ainsi que l’organisation, les principes et la manière de pensée qui la cimentent. Ce point soulève la question de la connaissance de ladite doctrine et celle de la liberté dont disposent les joueurs face à la doctrine.
Le premier point est problématique : un joueur ne peut bien évidemment pas appliquer une doctrine qu’il ne connaît pas. Ce document précisera à chaque fois que cela sera possible les doctrines des principales marines sur des sujets précis. Cependant, comprenons bien qu’il n’a ni la vocation ni les moyens d’apporter aux joueurs la solide culture navale et historique qu’on est en droit d’attendre d’eux. La loi qui veut que les meilleurs joueurs soient ceux dont la connaissance du sujet est la plus étendue souffre rarement d’exceptions, et nous conseillons vivement aux joueurs débutants de consolider leur savoir en consultant les livres et les articles ad hoc.
Le second point est délicat. Obliger les joueurs à appliquer rigidement une doctrine peut dans certains cas réduire leur rôle à celui de simple exécutant de procédures prédéfinies, ce que, bien entendu, personne ne souhaite. La doctrine doit être un cadre général qui oriente les actions des joueurs mais dans lequel ils conservent de nombreuses possibilités de choix. Il faut donc appréhender la doctrine comme une idée directrice qui guide plus qu’elle ne contraint et dont on peut s'affranchir lorsque la situation l’exige.
Il est, avouons-le, difficile, sinon impossible de définir quand le manquement à la doctrine est légitime et quand il ne l’est pas. Là encore, seul le bon sens des participants peut être bon juge. Nous invitons le lecteur à prendre connaissance des quelques exemples suivants afin de nourrir sa réflexion :
La doctrine japonaise en matière de porte-avions est de grouper tous les bâtiments au sein d’une même escadre et de garder une distance importante (de l’ordre de 5 à 10.000 yards) entre eux ; l’escorte reste très loin (10 à 20.000 yards) des porte-avions afin de détecter à l’avance les raids ennemis, et les porte-avions sont seuls pour se défendre des attaques aériennes. A l’inverse la marine américaine disperse ses porte-avions, mais entoure ceux-ci de cuirassés et / ou de croiseurs, puis de destroyers, qui contribuent à la défense antiaérienne du bâtiment. Nous estimons qu’un joueur ordonnant une disposition contraire à ces doctrines commettrait une faute que l’arbitre pourrait sanctionner5.
La doctrine japonaise pour la préparation des appareils à bord des porte-avions est de ravitailler les appareils dans les hangars, d’armer les avions torpilleurs dans les hangars et les bombardiers en piqué sur le pont. Des ordres contraires à cette doctrine entraîneraient à coup sûr des retards dans les opérations aériennes car les équipes de mécaniciens et d’armuriers devraient improviser au lieu d’opérer une manœuvre finement rodée.
La doctrine japonaise en matière de combat de surface est de commencer l’engagement avec un tir massif de torpilles à longue distance afin d’affaiblir l’adversaire. Un amiral japonais qui garderait ses torpilles en réserve pour une meilleure occasion ne serait pas, à notre avis, à blâmer.
La doctrine japonaise pour les opérations aériennes est d’utiliser les hydravions de croiseurs et cuirassés pour la reconnaissance, et de garder le plus d’avions d’assaut pour le combat. Un joueur qui, tel l’amiral Hara lors de la bataille de la mer de Corail, ferait fi de cette mentalité et assignerait des avions d'assaut à des missions d’exploration serait parfaitement dans son droit.
Dans les deux premiers exemples, la doctrine représente les procédures utilisées habituellement qu’il serait difficile et dangereux de changer au dernier moment : les marins, soldats et aviateurs se battent comme ils ont été entraînés et peuvent être désorientés si on les amène à agir différemment. Dans les deux derniers cas, la doctrine reflète un modèle intellectuel, dont les amiraux de l’époque pouvaient être prisonniers, mais qui ne saurait contraindre un joueur.
Nous nuancerons notre point de vue en rappelant que des décisions originales, heureuses ou non, ont parfois été prises lors de batailles. L’amiral Fletcher a ainsi utilisé (avec un succès mitigé) des bombardiers en piqué SBD Dauntless pour intercepter les avions torpilleurs japonais lors de la bataille de la mer de Corail (mai 1942). Pareillement, l’amiral Mitscher a, lors de la bataille du golfe de Leyte (octobre 1944), illuminé le pont de ses porte-avions en pleine nuit pour permettre l’appontage des avions rentrant tard d’un raid sur la flotte japonaise. L’idée la plus baroque, et peut-être la plus géniale, est celle du commandant du porte-avions Franklin, qui pour sauver son navire incendié par des kamikaze, a délibérément provoqué une forte gîte au bâtiment qu’il commandait pour faire passer par dessus bord les avions en flammes.
Si un joueur ordonne une action contraire à la doctrine sans que cela soit justifié, il appartient à l’arbitre de le mettre en garde contre les conséquences possibles : la gêne, la malchance, l’exclusion.
Si une unité doit agir d’une façon contraire à ses habitudes, elle risque d’être moins efficace. Des navires devant naviguer plus prêt qu’ils ne le font d’habitude risquent de s’éperonner. Des équipes d’armuriers et de mécaniciens devant travailler de façon improvisée seront beaucoup plus lentes et risqueront de faire des erreurs.
Malgré ces dizaines de pages de règles supplémentaires, il est de (trop) nombreuses situations où l’arbitre doit décider en son âme et conscience sans le secours des règles. L’imprécision de positions sur une carte peut ainsi l’amener à décider aléatoirement si une unité est à distance de détection ou non. Pareillement de nombreuses règles (telles celles relatives à l’identification des cibles par ou la transmission des messages radio) lui laissent une marge importante d’appréciation. Dans ces circonstances l’arbitre, armé de son seul bon sens, décide en toute impartialité de ce qui arrive. Si un joueur se conduit sans raison et volontairement de façon non conforme à la doctrine qu’il devrait suivre, il risque de dénaturer l’esprit du jeu et ainsi de s’attirer les foudres de l’arbitre qui se souviendra de lui lorsqu’il prendra une décision « en conscience ».
En dernier lieu, si un joueur fait preuve d’un état d’esprit contraire à celui de la partie (volontairement ou non), il reste la possibilité extrême de l’exclure, temporairement ou définitivement. Dans le cas d’un joueur animé de bonnes intentions mais peu compétent et trop habitué aux jeux de rôles, qui fait des erreurs de temps en temps, l’arbitre peut considérer que les subordonnés du joueur n’exécutent pas (tous) ses ordres, qu’ils jugent absurdes. Si les problèmes persistent ou si le joueur est animé de mauvaises intentions, il n’y a pas d’autre solution que de l’exclure de la partie. Son commandement est assumé par l’arbitre ou confié à un autre joueur. Cela doit bien entendu rester exceptionnel.
Lors d’un affrontement entre forces allemandes et britanniques, le joueur commandant la KM ordonne à ses unités d’éperonner les forces adverses alors qu’elles ont la possibilité de s’échapper. L’arbitre ne doit pas laisser le mauvais esprit ou l’imbécillité du joueur allemand gâcher la partie et relève celui-ci de son commandement.
Le rapport à la modélisation
Le parti pris du jeu est, on l'a vu, d'axer le jeu sur le commandement, la prise de décision, en plaçant les joueurs dans le rôle d'un commandant d'escadre ou de bâtiment. Pour ce faire, la modélisation doit rester souple et discrète.
La souplesse de la modélisation encourage l'arbitre à ne pas être prisonnier des règles. Celles-ci ne sont pas une fin un soit, mais un moyen (certes extrêmement précieux) au service du jeu, dont il doit pouvoir s'extraire lorsque c'est nécessaire. Deux cas de figure viennent à l'esprit : les situations non prévues et les résultats irréalistes.
Les premières amènent l'arbitre à improviser en se basant, si c'est possible, sur des règles proches, et plus encore sur son bon sens et sa culture historique. Il n'est, dans l'esprit du jeu, pas concevable d'interdire quelque chose sous prétexte qu'elle n'est pas prévue dans les règles.
Certaines règles, mal ficelées ou utilisées dans des situations non prévues sont susceptibles de générer des résultats peu plausibles. Le rôle de l'arbitre est de jauger de la pertinence de ces résultats (sachant qu'en temps de guerre bien des choses improbables peuvent survenir) et le cas échéant de les remplacer par un autre plus conforme à la réalité. Là encore, l'arbitre doit se baser sur son bon sens, sa culture historique et son impartialité.
La discrétion de la modélisation donne son charme inimitable au jeu et s'exprime de deux façons. La première d'entre elles consiste à proscrire autant que possible les termes techniques des échanges entre l'arbitre et les joueurs. Un rapport d'avarie ne mentionnera ainsi pas le montant des points d'agression infligés mais décrira l'étendue des dommages subis de la façon la plus littéraire possible. La deuxième, plus difficile à mettre en œuvre, consiste pour les joueurs à oublier autant que possible la modélisation, à concevoir le jeu en fonction de la réalité de la guerre aéronavale et non en fonction des règles sensées la modéliser.
La taille de ce document tout comme le caractère laconique de certaines explications peuvent légitimement décourager certains joueurs, en particulier s'ils ne sont pas pas familiers de ce type de jeu ou de la période traitée. Pour autant, la tâche n'est pas aussi difficile qu'elle pourrait le paraître. Il n’est en effet pas nécessaire que les joueurs maîtrisent la totalité des règles présentées dans ce document.
Certaines, qui ne seront utilisées que par l’arbitre (par exemple, la gestion des dommages et des avaries), ou celles qui s’appliquent à des domaines non abordés dans une partie (telles que les mouvements aériens dans un scénario ou l’aviation est absente), peuvent être ignorées.
D’autres doivent être connues mais pas nécessairement maîtrisées. Les joueurs doivent par exemple connaître les bases des règles de détection ou de tirs d'artillerie (portée de détection, précision des tirs, etc.) et en connaître les principaux paramètres, une part importante de leur travail consistant en effet à chercher à combattre dans les meilleurs conditions, en optimisant leurs chances de détection, de coup au but, etc., mais n'ont pas à en connaître tous les détails, car in fine, c’est l’arbitre qui les appliquera.
Il y a cependant, et pour tout dire malheureusement, quelques règles, telles celles relatives aux mouvements aériens (préparation d’une mission, autonomie), que les joueurs doivent maîtriser s'ils veulent participer efficacement au jeu.
dans une précédente discussion, certains d'entre vous ont manifesté leur intérêt pour un document que j'ai créé il y a quelques années dans le but d'initier mes joueurs débutants aux bases de la tactique navale. Ne sachant pas comment leur transmettre, je le fais ici sous forme d'un long message. Que les modérateurs m'excusent si ce n'est pas le lieu ici pour ce genre d'exposé.
Ce document est à la fois très modeste et très personnel ; il n'a pas l'ambition d'être exhaustif, ni même d'une qualité exceptionnelle, et ne présente que mon point de vue sur le sujet à un moment donné. J'espère que vous me pardonnerez les erreurs et autres maladresses qui ne manqueront pas de s'être glissées dans ces lignes.
Ce qui va suivre est extrait du recueil de règles pour Amirauté que j'essaie vainement de mettre au point depuis des années. Je me suis permis de laisser les paragraphes qui suivent l'exposé sur les tactiques, car ceux-ci traitent de la façon de concevoir le jeu ; j'ai la faiblesse de croire que cela peut intéresser certains d'entre vous et, peut-être, susciter de nouvelles discussions.
QUELQUES ELEMENTS DE TACTIQUE NAVALE
S'approprier le scénario
La première des priorités est de bien lire et relire le scénario afin d'appréhender les différents paramètres de la bataille (conditions météorologiques, forces en présence, ...) et surtout de comprendre ce que vos supérieurs attendent de vous.
Ce dernier point est particulièrement important : un bon wargame n'est pas un jeu de massacre et couler des navires ne suffit pas toujours. Ainsi, un amiral chargé de l'escorte d'un convoi doit d'avantage se préoccuper de la survie des navires sous sa protection que de la destruction des forces adverses.
Pareillement il est toujours nécessaire de bien situer l'engagement dans un contexte plus vaste. Si au niveau tactique, un affrontement se soldant par des pertes égales est la plupart du temps comme un match nul, ces pertes peuvent être ressenties sur le plan opérationnel et stratégique plus ou moins durement, et s'avérer dramatiques pour les uns et secondaires pour les autres. La perte d'un croiseur est une fortune de mer pour la Royal Navy qui en a plus d'une cinquantaine, et une catastrophe pour la Kriegsmarine, qui n'en a pas une dizaine.
Replacer l'affrontement dans un contexte plus vaste permet également d'avoir un oeil critique sur le scénario, le dossier que vous transmet l'arbitre ayant en effet très probablement plusieurs failles, volontaires ou non. Les failles volontaires sont les omissions, imprécisions et erreurs consécutives aux lacunes des services de renseignement : ceux-ci, malgré tous leurs efforts, se trompaient fréquemment sur les intentions ou sur le dispositif de l'adversaire, et leurs indications devaient toujours être prises au conditionnel.
Il est également possible que l'arbitre fasse quelques erreurs ou omette de préciser certains détails, qui pour lui sont évidents mais qui ne le sont pas forcément pour les joueurs, dans le dossier du scénario. La plupart sont détectées avant le début du combat, avec pour seule conséquence un peu de retard dans le jeu, mais d'autres ne le sont que pendant ou après l'affrontement, ce qui parfois peut pénaliser certains participants.
Seule une connaissance suffisante en histoire navale peut donner aux joueurs le sens critique indispensable à une bonne appréhension du scénario, et nous invitons les joueurs à faire le nécessaire pour l'acquérir. Nous les encourageons également à ne pas hésiter à solliciter l'arbitre pour obtenir des éclaircissements sur les points qui posent problème. Rappelons que celui-ci assume un double rôle de gestionnaire de la partie (et à ce titre, doit renseigner les joueurs sur les aspects techniques du jeu et sur les points du scénario qui seraient obscurs) et d'état-major de chacun des joueurs. Il répondra pour cette raison, à toute question qu'un officier pourrait poser à ses subordonnés.
Elaborer un plan
Après avoir intégré les différents paramètres du scénario, il faut mettre au point un plan de bataille, c'est à dire une idée, une ligne directrice qui va structurer vos actions pendant l'affrontement. L'élaboration d'un plan de bataille est impératif : sans plan, on ne peut guère que réagir au coup par coup aux actions de l'adversaire, et donc subir sa volonté. Il est au contraire nécessaire de planifier, de prévoir ses actions et d'imposer sa volonté à l'ennemi.
Il est extrêmement difficile d'expliquer clairement comment mettre au point un plan de bataille, alors même qu'élaborer ce plan n'est pas si complexe. La clé est l'analyse des paramètres de la bataille, qui nourrit la réflexion sur les moyens de gagner l'affrontement. L'important est de discerner les points forts et faibles de chacun des deux partis, en fonction des forces respectives (une analyse en détail est souvent nécessaire), des conditions météorologiques et des conditions de victoire. L'étape suivante est, bien évidemment, de trouver un moyen d'exploiter ses propres points forts et / ou les points faibles de l'adversaire, tout en empêchant l'adversaire d'en faire autant.
Déterminer ses points forts et faibles ainsi que ceux de l’ennemi n’est, là non plus, pas une science exacte, mais un « art » où l’appréciation subjective a un grand rôle (ne serait-ce qu’à cause des renseignements insuffisants sur le dispositif adverse). Cette appréciation repose sur l’analyse fine des conditions de victoire et des forces en présence.
Les conditions de victoire dictent la façon de combattre, en incitant par exemple à s’engager à fond ou au contraire à refuser le combat. Une escadre en situation d’infériorité et / ou chargée de protéger un convoi a ainsi intérêt à se dissimuler derrière des rideaux de fumée pour limiter au maximum les échanges de tir.
L’examen des forces en présence permet de savoir quelles armes il est pertinent de mettre en avant, et dans quelles conditions. Dans le cas d’un affrontement entre un groupe de destroyers et des croiseurs, on comprend bien que l’intérêt des premiers est de réduire la distance au plus vite pour combattre à la torpille, tandis que les seconds ont tout à gagner à imposer un duel d’artillerie à grande distance, qu’ils sont certains de gagner.
La situation est parfois plus complexe que celle que nous venons d’évoquer, et il peut être nécessaire d’entrer un peu plus dans les détails techniques. Des bâtiments équipés de radar peuvent par exemple profiter de l’énorme avantage que leur confère ce senseur en combattant derrière un écran de fumée pour dissimuler leur position. Dans les duels d’artillerie cependant, les tactiques navales reposent sur le principe des zones d’immunité.
La zone d’immunité est un intervalle de distance à l’intérieur duquel un obus n’a plus la vitesse nécessaire pour percer la ceinture cuirassée de la cible et pas encore celle lui permettant de pénétrer le pont blindé1. Un navire qui est dans sa zone d’immunité est donc relativement à l’abri des tirs de son adversaire, et la situation idéale pour un commandant d’escadre est de placer ses navires de façon à ce qu'ils soient dans leur zone d’immunité sans que ceux de l’adversaire soient dans la leur. On peut ainsi imaginer, dans un affrontement entre des cuirassés modernes et des croiseurs de bataille anciens, l’avantage énorme que les premiers ont sur les seconds. Les obus des bâtiments récents peuvent pénétrer le blindage de leurs adversaires à n’importe quelle distance, tandis que ceux des navires plus anciens n’en sont capables qu'à certaines distances (par exemple, en deçà de 15.000 yards ou en delà de 25.000 yards).
Une fois cette réflexion achevée, il faut traduire ce qui n'est encore que des idées, en plan d’action concret. Après avoir décidé, par exemple, que les destroyers doivent torpiller les unités lourdes adverses, il faut réfléchir à l'application de ce concept : où placer les destroyers ? quels ordres leurs donner ? ... Cette réflexion doit aboutir à un cadre d'action général qui détermine les positions et les actions futures pendant la bataille des bâtiments sous vos ordres.
Pour autant, s'il est bien évidemment nécessaire de réfléchir à ce que pourrait faire l'ennemi, il faut se garder de penser qu'il fera ce que vous avez prévu, ou que ce que vous voudriez qu'il fasse. Il n'est pas impossible que votre adversaire se conduise (que ce soit par ruse ou par maladresse) d'une façon qui vous semble incompréhensible et imprévue.
Pareillement, si la planification des actions est indispensable, elle ne doit pas être trop rigide, et doit permettre de s'adapter aux circonstances mouvantes du champ de bataille : le plan de bataille le mieux conçu survit rarement aux aléas du combat.
Enfin, le plan doit être simple. Contentez-vous de décliner les principes tactiques que vous avez dégagés précédemment : les manœuvres alambiquées, les pièges subtils ne fonctionnent généralement pas, ne serait-ce que parce qu'il est difficile de les mettre en œuvre.
Pensez également que votre plan doit être compris de vos subordonnés : un plan génial compris de vous seul ne vous mènera qu'à la défaite. Profitez de la phase préparatoire de la partie pour bien expliquer donc bien à vos subordonnés ce que vous attendez d'eux ; il sera très difficile de le faire pendant l'affrontement.
Executer le plan
Le plus dur cependant n'est pas tant d'élaborer le plan de bataille que de le mettre en œuvre. Il n'y a là non plus pas de recette magique et je me contenterai de mettre l'accent sur trois points : persévérer, manœuvrer, combattre.
Persévérer c’est maintenir le cap dans l’adversité, c’est résister à la tentation d’abandonner son plan de bataille aux premières difficultés, c'est rester combatif, même dans la défaite et accepter les coups du sort, et en particulier les pertes. Ce dernier point d'ailleurs est particulièrement délicat : la guerre navale est souvent sanglante et les pertes inévitables. Il est capital que celles-ci ne vous déroutent pas et que vous mainteniez votre cap sans vous laisser démonter.
Pour autant, je ne vous invite pas à faire preuve de témérité et à sacrifier vos navires. Ceux-ci, tout comme les équipages qui les arment sont extrêmement précieux et doivent être préservés à tout prix. En résumé, il est sage d’abandonner la partie quand les choses commencent à mal tourner, tout comme il est lâche de le faire avant. Estimer quand il est nécessaire de décrocher est difficile et demande beaucoup de flair. La théorie, simple, veut qu’il faut rompre le combat lorsque la victoire devient improbable voire impossible ; sa mise en application n’est, reconnaissons-le, pas toujours évidente.
Manœuvrer, c’est faire évoluer ses forces de façon à appliquer le plan de bataille. L'art de la manœuvre repose sur trois principaux piliers : détecter, anticiper et commander.
Détecter l’adversaire au plus tôt tout en restant invisible est capital dans tout combat naval, mais tout particulièrement lorsque la visibilité est faible (combats de nuit par exemple). Il certes difficile de se dissimuler de jour, sauf à étendre des rideaux de fumée. Ceux-ci bloquent la ligne de vue pendant plusieurs minutes2 et sont particulièrement utiles aux navires en difficulté. De nuit la détection est beaucoup plus aléatoire, et dépend de nombreux paramètres (radar, vitesse, position par rapport à la terre, …) qu’il est indispensable de maîtriser. La détection nocturne peut être facilitée par l'utilisation de projecteurs ou d'obus éclairants, lesquels ont tous les deux leurs inconvénients. Les projecteurs illuminent autant le navire qui les utilise que celui qu'ils éclairent, et le tir d'obus éclairants implique l'emploi d'une tourelle d'artillerie à cet unique effet.
La détection ne reste cependant qu’un préalable ; l’art de la manœuvre, et donc l’application d’un plan de bataille repose sur l’anticipation de ses propres mouvements et de ceux de l’adversaire. Il est absolument indispensable, ne serait-ce que pour éviter les risques de collision, qu’un joueur ait en permanence une idée précise de la position que ses navires occuperont au tour prochain. Estimer leur position approximative plusieurs tours à l’avance s’avère généralement très précieux. Pareillement, prévoir où pourront se trouver les bâtiments adverses au tour prochain est pour le moins utile ; c’est en effet généralement indispensable pour lancer des torpilles dans de bonnes conditions et pour éviter celles de l’adversaire.
La manœuvre n’est cependant possible que si les forces sont efficacement commandées. La lecture et la maîtrise des règles relatives au commandement sont donc à ce titre fortement recommandées. Un commandement efficace commence par une organisation saine et des consignes3 précises, et s’exprime lors de l’affrontement par des ordres concis mais clairs. Les ordres que vous donnez sont l’aboutissement d’une réflexion nourrie par votre logique, vos connaissances et votre appréciation de la situation ; comprenez bien que les personnes qui recevront ces ordres (qu’il s’agisse de l’arbitre ou d’autres joueurs) ne fonctionnent pas forcement avec la même logique, n’ont pas les mêmes connaissances et n’appréhendent pas toujours la situation que vous.
En dernière analyse cependant, la manœuvre ne sert qu’à combattre dans les meilleurs conditions. Le combat constitue l’essence des affrontements, et la maîtrise de ses paramètres est indispensable. La victoire revient en effet souvent à qui sait utiliser ses armes de la meilleure façon.
L’artillerie de marine est l’arme maîtresse des combats navals. Si l’on exclut les interactions entre obus et cuirasse, déjà évoqués précédemment, ses paramètres sont relativement simples et de bon sens. La première chose est de manœuvrer ou de choisir une cible de façon à ce que toutes les pièces (ou tout au moins le maximum) soient battantes, tout en empêchant l’adversaire de faire la même chose. C’est la base de la manœuvre bien connue visant à « barrer le T » de l’adversaire.
Le choix de la cible ne doit pas être fait à la légère. Encadrer un navire demande du temps, durant lequel un certain nombre de salves sont tirées pour estimer la distance et la déflection. Ces salves ont peu de chances de toucher la cible et sont en quelque sorte « gâchées ». Il est donc contre-productif de changer de cible trop souvent. Celle-ci doit être choisie avec soin en fonction des conditions de victoire, du danger qu’elle représente et des capacités de l’arme utilisée. Le choix de la cible détermine également celui des munitions4, avec une certaine réserve toutefois : changer de type de projectile prend parfois un certain temps.
Enfin, tout doit être fait pour optimiser les chances d’impact et les joueurs doivent connaître les principaux paramètres des tirs d'artillerie. Parmi ceux-ci, la distance de tir est le plus important, et c’est sur lui que les joueurs doivent essayer de jouer. La distance de tir optimale est entre le tiers et les deux tiers de la portée maximale : les combats sont en général stériles au-delà de cette distance, et suicidaires en deçà. Pour autant, la distance influant tout autant les chances d’impact que la cadence de tir, il convient de mesurer les avantages et les inconvénients qu’il y a à combattre à une distance donnée.
L’exemple d’une confrontation fictive entre deux croiseurs, l’un lourd et l’autre léger, permet de mieux expliquer ce dernier point. A longue distance (plus de 15.000 yards), les pièces de 203 mm du premier ont l’avantage sur celles de 152 mm du second car ces dernières tirent en extrême limite de portée, ce qui altère fortement leur précision et leur cadence de tir. A l’inverse, l’avantage bascule en leur faveur lorsque la distance se réduit. A moins de 10.000 yards le croiseur léger peut tirer deux ou trois fois plus d’obus que son adversaire, avec une précision à peine inférieure.
Les probabilités d’impact dépendent cependant d’une multitude d’autres facteurs (qualité de contrôle de tir, visibilité, manœuvres évasives, etc.) avec lesquels les joueurs doivent jouer afin d’optimiser leur chances de succès et / ou d’abaisser celles de leur adversaire. Je ne peux que les conseiller pour cette raison de lire et relire le chapitre des règles consacré à l’artillerie navale.
Les torpilles sont une arme potentiellement redoutable dont l’utilisation est cependant délicate. Celles-ci doivent être lancées en masse, à très courte distance et sur une cible qui se rapproche. L’expérience montre que même lorsqu’on réussit à réunir ces trois paramètres, les impacts sont rares, car la cible a souvent la possibilité de détecter et d’éviter les torpilles. Pour cette raison, ces armes ont, en plein jour, un rôle d’avantage dissuasif qu’effectif. Leur présence dissuade généralement l’adversaire de s’approcher ou de franchir un écran de fumée. L’efficacité des torpilles et multipliée lorsque les conditions de visibilité sont mauvaises car il est difficile de détecter leur lancement et de repérer leur sillage. Elles deviennent dans ces conditions une arme extrêmement redoutable, pour peu qu’on sache les utiliser.
L'ESPRIT DU JEU
Le rôle des joueurs
Précisons de nouveau que les joueurs sont placés dans la situation d’un commandant d’escadre ou de théâtre. En conséquence, ils ne contrôlent pas directement leurs unités, qui sont dirigées par l’arbitre en fonction des ordres qui lui ont été transmis. Une erreur ou une ambiguïté lors de la rédaction des ordres peut l’amener à faire agir une unité d’une façon non conforme aux vœux d’un joueur.
Pour autant, les impératifs du jeu nous obligent parfois à faire quelques entorses à ce principe. Il est en effet difficile d'envisager qu'un joueur tienne le rôle d'un amiral dirigeant une escadre ou une division navale et qu'un autre assume celui du commandant du bâtiment sur lequel l'amiral est embarqué : le même joueur endossera les deux rôles.
Pareillement, un joueur responsable de l'aviation terrestre cumulera généralement plusieurs rôles. Il sera à la fois l'officier supérieur qui détermine la nature des missions et l'officier de terrain qui en réglera les détails techniques.
On notera avec intérêt qu’un joueur ne peut commander que des unités sur lesquelles il a autorité et avec qui il peut communiquer. Le premier point reflète les difficultés qu’ont connu des unités relevant de différents commandements à coordonner leurs actions (marins et aviateurs par exemple) tandis que le second pose le problème du silence radio, nécessaire à une évolution furtive, mais qui limite sérieusement les communications entre unités éloignées.
Chaque scénario devra donc expliquer clairement l’organisation du commandement, tant au niveau opérationnel qu’au niveau tactique. Au niveau opérationnel, on peut trouver par exemple un commandant de secteur qui chapeaute l’opération, un commandant pour chaque flotte en mer, un commandant pour les sous-marins, et un autre pour l’aviation terrestre sinon pour chaque base aérienne.
Au cours d’une partie ayant pour thème la bataille de la mer de Corail, le joueur américain (qui tient le rôle de l’amiral Fletcher, commandant de la TF 17), n’a aucune autorité sur les unités en Australie, la TF 17 relevant de l’amiral Nimitz, tandis que les unités en Australie et en Nouvelle-Guinée dépendant de Mac Arthur. Le joueur japonais, lui, devra définir très clairement son rôle. S’il endosse celui de l’amiral Takagi, commandant de la flotte des porte-avions, il ne commandera que cette escadre. S’il choisit le rôle de l’amiral Inouye, commandant en chef de l’opération, il aura autorité sur toutes les forces engagées, mais suivra la bataille de très loin et ne pourra peut-être pas commander efficacement ses unités.
La doctrine
Amirauté étant un jeu de simulation historique, les ordres donnés par un joueur doivent être comparables à ceux que pourrait avoir donné dans les mêmes circonstances un amiral de l’époque. En d’autres termes, les ordres contraires à l’esprit du jeu car stupides, fantaisistes ou suicidaires doivent être, dans la mesure du possible, proscrits.
Il est, à cet égard, particulièrement important de replacer le moindre engagement dans le contexte général d’un conflit mondial. Les joueurs doivent être particulièrement vigilants à ne pas sacrifier inutilement les unités qu’ils commandent, que ce soit par dépit ou par désir de grappiller quelques points de victoire, en particulier si le pays pour lequel ils combattent n’a pas les moyens de combler les pertes.
La meilleure façon de respecter l’esprit du jeu est de respecter la doctrine en vigueur dans les forces navales (ou aériennes) dans laquelle un joueur sert. Définir avec précision le mot doctrine n’est pas aisé, mais pourrait l’être ici grossièrement comme l’ensemble des tactiques et procédures qu’utilisent une armée, ainsi que l’organisation, les principes et la manière de pensée qui la cimentent. Ce point soulève la question de la connaissance de ladite doctrine et celle de la liberté dont disposent les joueurs face à la doctrine.
Le premier point est problématique : un joueur ne peut bien évidemment pas appliquer une doctrine qu’il ne connaît pas. Ce document précisera à chaque fois que cela sera possible les doctrines des principales marines sur des sujets précis. Cependant, comprenons bien qu’il n’a ni la vocation ni les moyens d’apporter aux joueurs la solide culture navale et historique qu’on est en droit d’attendre d’eux. La loi qui veut que les meilleurs joueurs soient ceux dont la connaissance du sujet est la plus étendue souffre rarement d’exceptions, et nous conseillons vivement aux joueurs débutants de consolider leur savoir en consultant les livres et les articles ad hoc.
Le second point est délicat. Obliger les joueurs à appliquer rigidement une doctrine peut dans certains cas réduire leur rôle à celui de simple exécutant de procédures prédéfinies, ce que, bien entendu, personne ne souhaite. La doctrine doit être un cadre général qui oriente les actions des joueurs mais dans lequel ils conservent de nombreuses possibilités de choix. Il faut donc appréhender la doctrine comme une idée directrice qui guide plus qu’elle ne contraint et dont on peut s'affranchir lorsque la situation l’exige.
Il est, avouons-le, difficile, sinon impossible de définir quand le manquement à la doctrine est légitime et quand il ne l’est pas. Là encore, seul le bon sens des participants peut être bon juge. Nous invitons le lecteur à prendre connaissance des quelques exemples suivants afin de nourrir sa réflexion :
La doctrine japonaise en matière de porte-avions est de grouper tous les bâtiments au sein d’une même escadre et de garder une distance importante (de l’ordre de 5 à 10.000 yards) entre eux ; l’escorte reste très loin (10 à 20.000 yards) des porte-avions afin de détecter à l’avance les raids ennemis, et les porte-avions sont seuls pour se défendre des attaques aériennes. A l’inverse la marine américaine disperse ses porte-avions, mais entoure ceux-ci de cuirassés et / ou de croiseurs, puis de destroyers, qui contribuent à la défense antiaérienne du bâtiment. Nous estimons qu’un joueur ordonnant une disposition contraire à ces doctrines commettrait une faute que l’arbitre pourrait sanctionner5.
La doctrine japonaise pour la préparation des appareils à bord des porte-avions est de ravitailler les appareils dans les hangars, d’armer les avions torpilleurs dans les hangars et les bombardiers en piqué sur le pont. Des ordres contraires à cette doctrine entraîneraient à coup sûr des retards dans les opérations aériennes car les équipes de mécaniciens et d’armuriers devraient improviser au lieu d’opérer une manœuvre finement rodée.
La doctrine japonaise en matière de combat de surface est de commencer l’engagement avec un tir massif de torpilles à longue distance afin d’affaiblir l’adversaire. Un amiral japonais qui garderait ses torpilles en réserve pour une meilleure occasion ne serait pas, à notre avis, à blâmer.
La doctrine japonaise pour les opérations aériennes est d’utiliser les hydravions de croiseurs et cuirassés pour la reconnaissance, et de garder le plus d’avions d’assaut pour le combat. Un joueur qui, tel l’amiral Hara lors de la bataille de la mer de Corail, ferait fi de cette mentalité et assignerait des avions d'assaut à des missions d’exploration serait parfaitement dans son droit.
Dans les deux premiers exemples, la doctrine représente les procédures utilisées habituellement qu’il serait difficile et dangereux de changer au dernier moment : les marins, soldats et aviateurs se battent comme ils ont été entraînés et peuvent être désorientés si on les amène à agir différemment. Dans les deux derniers cas, la doctrine reflète un modèle intellectuel, dont les amiraux de l’époque pouvaient être prisonniers, mais qui ne saurait contraindre un joueur.
Nous nuancerons notre point de vue en rappelant que des décisions originales, heureuses ou non, ont parfois été prises lors de batailles. L’amiral Fletcher a ainsi utilisé (avec un succès mitigé) des bombardiers en piqué SBD Dauntless pour intercepter les avions torpilleurs japonais lors de la bataille de la mer de Corail (mai 1942). Pareillement, l’amiral Mitscher a, lors de la bataille du golfe de Leyte (octobre 1944), illuminé le pont de ses porte-avions en pleine nuit pour permettre l’appontage des avions rentrant tard d’un raid sur la flotte japonaise. L’idée la plus baroque, et peut-être la plus géniale, est celle du commandant du porte-avions Franklin, qui pour sauver son navire incendié par des kamikaze, a délibérément provoqué une forte gîte au bâtiment qu’il commandait pour faire passer par dessus bord les avions en flammes.
Si un joueur ordonne une action contraire à la doctrine sans que cela soit justifié, il appartient à l’arbitre de le mettre en garde contre les conséquences possibles : la gêne, la malchance, l’exclusion.
Si une unité doit agir d’une façon contraire à ses habitudes, elle risque d’être moins efficace. Des navires devant naviguer plus prêt qu’ils ne le font d’habitude risquent de s’éperonner. Des équipes d’armuriers et de mécaniciens devant travailler de façon improvisée seront beaucoup plus lentes et risqueront de faire des erreurs.
Malgré ces dizaines de pages de règles supplémentaires, il est de (trop) nombreuses situations où l’arbitre doit décider en son âme et conscience sans le secours des règles. L’imprécision de positions sur une carte peut ainsi l’amener à décider aléatoirement si une unité est à distance de détection ou non. Pareillement de nombreuses règles (telles celles relatives à l’identification des cibles par ou la transmission des messages radio) lui laissent une marge importante d’appréciation. Dans ces circonstances l’arbitre, armé de son seul bon sens, décide en toute impartialité de ce qui arrive. Si un joueur se conduit sans raison et volontairement de façon non conforme à la doctrine qu’il devrait suivre, il risque de dénaturer l’esprit du jeu et ainsi de s’attirer les foudres de l’arbitre qui se souviendra de lui lorsqu’il prendra une décision « en conscience ».
En dernier lieu, si un joueur fait preuve d’un état d’esprit contraire à celui de la partie (volontairement ou non), il reste la possibilité extrême de l’exclure, temporairement ou définitivement. Dans le cas d’un joueur animé de bonnes intentions mais peu compétent et trop habitué aux jeux de rôles, qui fait des erreurs de temps en temps, l’arbitre peut considérer que les subordonnés du joueur n’exécutent pas (tous) ses ordres, qu’ils jugent absurdes. Si les problèmes persistent ou si le joueur est animé de mauvaises intentions, il n’y a pas d’autre solution que de l’exclure de la partie. Son commandement est assumé par l’arbitre ou confié à un autre joueur. Cela doit bien entendu rester exceptionnel.
Lors d’un affrontement entre forces allemandes et britanniques, le joueur commandant la KM ordonne à ses unités d’éperonner les forces adverses alors qu’elles ont la possibilité de s’échapper. L’arbitre ne doit pas laisser le mauvais esprit ou l’imbécillité du joueur allemand gâcher la partie et relève celui-ci de son commandement.
Le rapport à la modélisation
Le parti pris du jeu est, on l'a vu, d'axer le jeu sur le commandement, la prise de décision, en plaçant les joueurs dans le rôle d'un commandant d'escadre ou de bâtiment. Pour ce faire, la modélisation doit rester souple et discrète.
La souplesse de la modélisation encourage l'arbitre à ne pas être prisonnier des règles. Celles-ci ne sont pas une fin un soit, mais un moyen (certes extrêmement précieux) au service du jeu, dont il doit pouvoir s'extraire lorsque c'est nécessaire. Deux cas de figure viennent à l'esprit : les situations non prévues et les résultats irréalistes.
Les premières amènent l'arbitre à improviser en se basant, si c'est possible, sur des règles proches, et plus encore sur son bon sens et sa culture historique. Il n'est, dans l'esprit du jeu, pas concevable d'interdire quelque chose sous prétexte qu'elle n'est pas prévue dans les règles.
Certaines règles, mal ficelées ou utilisées dans des situations non prévues sont susceptibles de générer des résultats peu plausibles. Le rôle de l'arbitre est de jauger de la pertinence de ces résultats (sachant qu'en temps de guerre bien des choses improbables peuvent survenir) et le cas échéant de les remplacer par un autre plus conforme à la réalité. Là encore, l'arbitre doit se baser sur son bon sens, sa culture historique et son impartialité.
La discrétion de la modélisation donne son charme inimitable au jeu et s'exprime de deux façons. La première d'entre elles consiste à proscrire autant que possible les termes techniques des échanges entre l'arbitre et les joueurs. Un rapport d'avarie ne mentionnera ainsi pas le montant des points d'agression infligés mais décrira l'étendue des dommages subis de la façon la plus littéraire possible. La deuxième, plus difficile à mettre en œuvre, consiste pour les joueurs à oublier autant que possible la modélisation, à concevoir le jeu en fonction de la réalité de la guerre aéronavale et non en fonction des règles sensées la modéliser.
La taille de ce document tout comme le caractère laconique de certaines explications peuvent légitimement décourager certains joueurs, en particulier s'ils ne sont pas pas familiers de ce type de jeu ou de la période traitée. Pour autant, la tâche n'est pas aussi difficile qu'elle pourrait le paraître. Il n’est en effet pas nécessaire que les joueurs maîtrisent la totalité des règles présentées dans ce document.
Certaines, qui ne seront utilisées que par l’arbitre (par exemple, la gestion des dommages et des avaries), ou celles qui s’appliquent à des domaines non abordés dans une partie (telles que les mouvements aériens dans un scénario ou l’aviation est absente), peuvent être ignorées.
D’autres doivent être connues mais pas nécessairement maîtrisées. Les joueurs doivent par exemple connaître les bases des règles de détection ou de tirs d'artillerie (portée de détection, précision des tirs, etc.) et en connaître les principaux paramètres, une part importante de leur travail consistant en effet à chercher à combattre dans les meilleurs conditions, en optimisant leurs chances de détection, de coup au but, etc., mais n'ont pas à en connaître tous les détails, car in fine, c’est l’arbitre qui les appliquera.
Il y a cependant, et pour tout dire malheureusement, quelques règles, telles celles relatives aux mouvements aériens (préparation d’une mission, autonomie), que les joueurs doivent maîtriser s'ils veulent participer efficacement au jeu.